olivier godechot

27 avril 2012 | Guillaume Maujean, "Quand Wall Street inspire le cinéma", Les Echos.

Je suis d'accord avec Guillaume Maujean. Margin Call est dans la catégorie des films sur la finance un film remarquable, notamment parce qu'il réussit à déjouer les écueils sur lesquels butent souvent les films sur la finance : la subordination de l'intrigue financière à une intrigue passionnelle. Le film de Chandor innove par l'absence de personnage principal. C'est de fait une dizaine de salariés de la banque (et notamment des métiers oubliés et cruciaux comme les contrôleurs de risque), traités de manière nuancée et à peu près équitable, qui sont confrontés pendant vingt-quatre heures à la découverte de pertes potentielles abyssales que pourraient engendrer le portefeuille de crédits hypothécaires MBS. On pourrait discuter du réalisme de cette situation laquelle correspond sans doute plus à la découverte de pertes d'opérations de trading non-autorisées (comme lors de l’affaire Kerviel) qu'à la découverte généralement plus progressive et complexe des pertes notionnelles d'un portefeuille de produits dérivés. Mais l'unité de temps a son efficacité narrative et donne au film un rythme certain. Les deux premiers tiers centrés sur la découverte et la circulation de l’information sont les plus intéressants. Le dernier tiers tire peut-être avec un peu trop d'emphase sur les problèmes moraux des banquiers qui se résolvent à vendre dans la précipitation le portefeuille de produits toxiques à leurs clients.

Quand Wall Street inspire le cinéma

Par Guillaume Maujean | 27/04 | 07:00 | mis à jour à 10:07

Rares sont les films qui ont su décrire le monde de la finance sans le caricaturer. « Margin Call », qui sort mercredi prochain, se révèle une vraie réussite. Retour sur un genre qui a produit des navets, et quelques pépites oubliées.

Il y a bien eu « Wall Street », d'Oliver Stone, le fameux « greed is good » lancé par Michael Douglas, alias Gordon Gekko, à la veille du krach de 1987. Mais à part ça ? Quel film représentant le monde de la Bourse et des salles de marché a marqué les esprits ? Difficile d'en citer quelques-uns... hormis ceux qu'on aurait plutôt envie d'oublier. Malgré un sujet formidable - comment le jeune courtier Nick Leeson fit sombrer la Baring's en spéculant sur les marchés asiatiques -le plat et ennuyeux « Trader » (1999) n'est pas resté dans les annales. Plus récemment, « Ma part du gâteau » (2011) était d'une maladresse confondante, en tentant de réunir l'ouvrière licenciée avec le golden boy responsable de la liquidation de son usine.

Rares sont les réalisateurs qui ont su décrire cet univers fermé, en saisir la complexité sans le caricaturer, faire comprendre les mécanismes boursiers sans noyer les spectateurs sous des explications rébarbatives. C'est pour cela qu'il faut saluer la sortie de « Margin Call », dans les salles françaises ce mercredi, comme un événement. Cette première oeuvre de J. C. Chandor est une vraie réussite. Elle plonge pendant vingt-quatre heures dans les arcanes d'une banque d'affaires américaine en train de mesurer l'ampleur de la crise des crédits « subprime ».

On n'y voit pas de traders s'égosiller au téléphone, pas de financier véreux. Juste la réalité d'une salle de marché à la veille d'une catastrophe financière. Ou comment vont réagir ces hommes et femmes - le jeune analyste, le responsable du trading, la directrice juridique, le patron de la banque -en découvrant que leur banque doit, au plus vite et à tout prix, se débarrasser des produits financiers pourris. Quitte à ruiner ses clients et à mettre en péril sa réputation. Le scénario n'esquive pas quelques passages techniques, mais sans jamais assommer. L'écriture est intelligente, les dialogues sonnent juste et les acteurs sont excellents, de Kevin Spacey à Jeremy Irons.

Le krach de 1929 oublié

Au siècle dernier, le genre a été délaissé par les grands cinéastes. On y trouve pourtant quelques pépites. A commencer par un film muet de 1928 ! « L'Argent », de Marcel L'Herbier, adapte intelligemment le roman de Zola, qui s'inspirait lui-même du krach provoqué par l'Union Générale en 1882. Il ne se livre pas à une attaque en règle de la société capitaliste, préférant brosser le portrait d'un prédateur obnubilé par l'argent. Cette puissante fresque surprend par sa modernité. L'Herbier, qui bénéfice de gros moyens, réunit près de 2.000 figurants au Palais-Brongniart. Il utilise jusqu'à 15 caméras et invente des mouvements d'appareil prodigieux, comme cette plongée du plafond de la Bourse jusqu'au sol pour exprimer l'affairisme et la fièvre du lieu.

On est avant la crise de 1929. Curieusement, le krach le plus mémorable de Wall Street n'a guère laissé de traces dans le septième art. « Ce n'est pas un thème qui a inspiré les réalisateurs américains. Ils se sont beaucoup plus intéressés, quelques années plus tard, aux conséquences sociales et politiques de la Grande Dépression, à l'instar du chef-d'oeuvre de John Ford, "Les Raisins de la colère", sorti en 1940, mais très rarement au krach boursier lui-même », fait remarquer le critique et historien du cinéma René Prédal (1).

Une oeuvre fait exception. Ce n'est pas la plus connue de son réalisateur, Frank Capra, mais elle mérite d'être découverte. Capra est l'un des seuls, à cette époque - on est en 1932 -, à aborder dans « La Ruée » les aspects boursiers et financiers de manière frontale. Thomas Dickinson est un banquier de province humaniste, qui prête de l'argent sur la bonne mine de ses clients, sans leur demander toutes les garanties nécessaires. Il devient la cible des membres de son conseil d'administration.

Un adultère, des rumeurs de vol dans les coffres : les actionnaires ont une occasion toute trouvée pour écarter Dickinson... Les petits épargnants s'inquiètent et accourent à la banque pour récupérer leurs économies. C'est la panique et l'effondrement. Mais comme souvent chez Capra, l'histoire se termine bien, le film annonçant les thèmes de prédilection - l'honnêteté, le partage, la fraternité -de l'auteur de « La vie est belle » et « Monsieur Smith au Sénat ».

Un miroir du couple

Il faudra des années avant qu'un grand réalisateur ne s'intéresse à son tour au monde de la Bourse. Michel-angelo Antonioni va s'y essayer en 1962, dans « L'Eclipse ». L'histoire est avant tout celle d'un couple qui se défait, celui de Vittoria (Monica Vitti) et Piero (Alain Delon). Les thèmes antonioniens - l'incommunicabilité des êtres, l'indicible d'une vie émotionnelle -trouvent un étonnant parallèle avec le monde des agents de change, où l'on semble se parler sans se comprendre, s'agiter sans rien gagner.

Le film contient deux scènes clefs sur la Bourse de Rome, une séance ordinaire et une de déroute, en pleine crise des missiles. « Pendant une minute complète, la caméra s'attarde sur les visages silencieux et impassibles, sur l'architecture néoclassique de la Bourse de Rome, sur le concert des sonneries de téléphone auxquelles personne ne répond, sur les apartés narquois d'Alain Delon à Monica Vitti, jusqu'à ce que la cloche sonne la reprise frénétique des transactions financières. Cette scène en apparence hyperréaliste participe pourtant d'une composition sur la communication humaine. L'intrigue financière n'est certes pas sans lien avec l'intrigue amoureuse, mais elle ne lui est pas subordonnée. Tout en se développant en toute autonomie, elle lui tend un miroir qui l'éclaire », écrit le chercheur Olivier Godechot (2).

Réjouissantes comédies

L'univers de la finance a aussi alimenté quelques comédies grinçantes. Dans « Le Sucre » de Jacques Rouffio (1978), il faut voir Gérard Depardieu et Roger Hanin arnaquer le petit épargnant Jean Carmet, sur fond de bulle spéculative sur les cours du sucre. Et Michel Piccoli en deus ex machina sarcastique. Le film tient de la bouffonnerie, mais une bouffonnerie rondement menée, qui échappe à la leçon de morale. Dans le même registre, « Un fauteuil pour deux » (1983) n'a pas vieilli. C'est sur les cours du jus d'orange que l'on joue cette fois-ci. A l'occasion d'un pari, le jeune loup de la finance Dan Akroyd échange son rôle avec le vagabond Eddie Murphie, dans un film aussi réjouissant que féroce.

Féroces, vils et cupides. C'est ainsi qu'apparaissent la plupart des traders dans les nombreux films - essentiellement américains -tournés dans les années 1980. Avec une figure centrale : Gordon Gekko, dans le « Wall Street » d'Oliver Stone. Le financier cynique prend sous son aile le jeune Bud Fox (Charlie Sheen), et l'aide à réaliser quelques coups boursiers illicites. Le propos est appuyé, mais le film efficace. Il doit beaucoup au jeu de Michael Douglas, qui suscitera de nombreuses vocations chez les diplômés en finance. Ironie de l'histoire, l'acteur intervient aujourd'hui dans des spots publicitaires du gendarme américain des marchés pour dénoncer les délits d'initié... « Greed is not always good »...

GUILLAUME MAUJEAN, Les Echos



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