|
||||
Godechot Olivier, 2013, « Neighbor networks, competitive advantage local and personal, R. Burt. Oxford University Press, Oxford (2010). 389 pp. », Sociologie du travail, vol. 55, n°1, 100-102. Ronald Burt, Neighbor Networks, Competitive Advantage Local and Personal, Oxford University Press, Oxford, 2010 (389 pages). En apparence, l’objet du nouvel ouvrage de Ronald Burt pourrait sembler relativement technique et anecdotique au regard des deux ouvrages précédents : Structurales Holes (1992) d’une part et Brokerage and Closure (2005). Le premier redéfinissait le capital social à partir du concept de trou structural, image métaphorique rappelant l’importance d’avoir des contacts nombreux et non directement connectés tant pour des raisons informationnelles – obtenir des informations non redondantes – que pour des raisons stratégiques – jouer de la concurrence entre les contacts. Cette démarche théorique était complétée par l’invention d’un indicateur, la contrainte structurale (combinant le nombre de contacts et le degré de leur interconnexion), permettant de mesurer empiriquement la présence (ou plutôt l’absence) de trous structuraux dans le réseau local d’un individu, ainsi que par des estimations empiriques montrant un lien négatif systématique entre la contrainte structurale et la performance. Le deuxième ouvrage confrontait théoriquement et empiriquement cette vision du capital social avec celle de Coleman (1988), selon laquelle la fermeture et la redondance des contacts loin de diluer le capital social l’accroissait, en permettant d’augmenter la résistance du groupe à la disparition d’un lien et la constitution d’un cadre permettant l’émergence d’une confiance et de normes partagées. Burt montre qu’effectivement la fermeture relationnelle permet de stabiliser les réputations et d’éviter la disparition des liens. Toutefois la performance n’en reste pas moins systématiquement associée à la présence de trous structuraux. Dans Neighbor Networks, Burt pose la question de l’impact du réseau des contacts sur ego. Vaut-il mieux avoir des contacts qui disposent d’un capital social important, capital social dont on pourrait attendre des effets indirects (emprunts), ou faut-il craindre que les contacts avec un capital social important ne nous fassent de la concurrence ? En un sens il reprend la problématique de Bonacich (1987) sur la manière dont le pouvoir varie en fonction de la centralité des autres acteurs, problématique qu’il adapte à ses concepts et à sa mesure. Il définit pour cela une nouvelle mesure, la contrainte structurale indirecte, comme la somme pondérée des contraintes structurales des contacts. Dans l’ensemble, Burt montre que la contrainte structurale indirecte a relativement peu d’incidence. Il étudie son impact dans plusieurs réseaux de managers, différents par la forme, certains étant balkanisés, d’autres plus denses, et par le métier et le secteur (banquiers, analystes financiers, cadres des ressources humaines, managers d’une chaine d’approvisionnement électronique, managers d’une chaine de lancement de produits). Dans les différents cas, la relation négative significative entre la contrainte structurale indirecte et la performance (mesurée par le salaire ou les évaluations faites en entreprise) disparaît dès lors que l’on contrôle par la contrainte structurale directe. Pour certaines populations marginales toutefois, comme les femmes dans un monde de managers, il peut y avoir un gain à « emprunter » le capital social de leur mentor et l’on trouve une incidence de la contrainte structurale indirecte. Dans un deuxième temps, il étudie le phénomène au niveau des relations intersectorielles et trouve cette fois une relation négative significative de la contrainte structurale indirecte, mesurée par les relations d’échange intersectorielles, sur la marge commerciale du secteur. Dans un troisième temps, Burt étudie l’impact de la clôture indirecte sur la confiance. L’indicateur utilisé n’est plus la contrainte structurale mais le nombre moyens de chemins de degré deux (clôture directe) et de degré trois (clôture indirecte)menant aux contacts directs d’ego. Tout comme la clôture directe, la clôture indirecte contribue alors significativement à la stabilisation des réputations et prévient la disparition des liens. Toutefois, s’interrogeant principalement sur les facteurs réticulaires de la performance individuelle, Burt retient principalement l’idée selon laquelle le capital social indirect n’a guère d’incidence. La raison d’être d’un tel questionnement tient sans doute aux limites de l’indicateur principal de Burt, à savoir la contrainte structurale. Cet indicateur local a l’avantage de s’adapter aux réseaux égocentrés obtenus par échantillonnage mais a le défaut de ne pas utiliser l’information sur les relations au-delà de celles qui relient les contacts d’égo. Par exemple, la contrainte structurale de ego (A) sera la même dans le cas d’une chaîne (D-B-A-C-E) dont A est le centre incontournable, que dans le cas d’un carré A-B-D-C(-A), où A peut être contourné par D. En un sens, les résultats peuvent sembler encourageants : l’approximation consistant à négliger les contacts des contacts au-delà des contacts d’ego n’est pas trop dommageable puisqu’il est montré qu’ils n’ont guère d’incidence. En même temps, cette découverte revient à fragiliser les deux piliers de la théorie des trous structuraux. Si le capital social est surtout affaire d’information, se connecter à des personnes avec un fort capital social devrait être positif, celles-ci apportant alors une meilleure information. Si le capital social est surtout affaire de stratégie, être connecté à des personnes à fort capital social est au contraire négatif puisqu’elles risquent d’obtenir l’ascendant lors des interactions stratégiques. Cette fragilisation des fondements du capital social n’a pas échappé à Burt. Il propose alors dans le dernier chapitre une nouvelle théorique psychologique du capital social compatible avec les effets localisés de celui-ci. La position d’intermédiaire structural transformerait les dispositions psychologiques des acteurs : ceux-ci seraient moins structurés par la pression des pairs, et notamment par la peur du déclassement à leur égard, et deviendraient par conséquent plus libres d’adopter des nouvelles idées et plus motivés par le gain absolu. Cette tentative de reformulation de la théorie du capital social n’en est encore qu’à ses prémices. Elle est ingénieuse mais aussi risquée pour la sociologie des réseaux, s’il s’avère que c’est plutôt la causalité inverse (des dispositions psychologiques vers la position dans le réseau) qui l’emporte. Références Burt, R., 1992. Structural Holes. Harvard University Press, Boston. Burt, R., 2005. Brokerage and closure. Oxford University Press, Oxford. Bonacich, P., 1987. Power and Centrality: A Family of Measures. The American Journal of Sociology 92, 1170–1182. Coleman, J., 1988. Social capital in the creation of human capital. American Journal of sociology 94, S94-S120.
Olivier Godechot CNRS, Centre Maurice Halbwachs |
English |
Français
News
OgO: plus ici|more here [Presse] Atlantico et Olivier Godechot, La grande séparation : les salariés les mieux rémunérés travaillent de plus en plus ensemble… et ...: plus ici|more here Tweets (rarely/rarement): @OlivierGodechot |
|||
HOP A CMS |