olivier godechot

25 Avril 2018. « Il faut créer “une entité publique consacrée à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes” », Le Monde

Il faut créer « une entité publique consacrée à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes »

Un collectif de chercheurs préconise la création d’une agence de statistique publique chargée de calculer les inégalités de salaires entre hommes et femmes, plutôt que de contraindre les entreprises à se livrer à cet exercice délicat et polémique.

Tribune. Pour tenter de résorber ce qui représente l’une des inégalités les plus criantes sur le marché du travail aujourd’hui – les écarts de salaires entre les sexes –, le gouvernement a annoncé une mesure intéressante, en partie inspirée par d’autres pays européens comme la Suisse. Il s’agit de développer un logiciel informatique gratuit permettant aux entreprises de calculer à partir de techniques statistiques éprouvées un écart de salaires entre les sexes, non explicable par des différences de caractéristiques personnelles comme le diplôme, l’âge, etc.

Cet écart serait calculé par toutes les entreprises de plus de 50 salariés et rendu public. Selon la proposition du gouvernement, qui devrait présenter son projet définitif le 3 mai, un écart trop élevé qui ne serait pas résorbé au bout de trois ans pourrait donner lieu à des sanctions financières.

Dans les discussions en cours, les organisations d’employeurs déplorent la mise en place d’une nouvelle obligation qui sera très lourde à gérer. Les syndicats s’inquiètent de leur côté du caractère technique et peu lisible de la méthode, et du fait qu’elle pourrait amener à ne pas prendre en compte des écarts de salaires entre les sexes totalement injustifiables, comme ceux résultant de taux de promotion différenciés à compétences égales.

Nous proposons une solution susceptible de lever l’ensemble de ces difficultés. Il s’agit de créer une entité publique consacrée à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes qui documentera l’écart de salaire pouvant donner lieu à des sanctions et produira un bilan des écarts de salaires et de leurs causes pour chaque entreprise.

Qualité et fiabilité des chiffres

Le premier avantage de cette solution est d’ordre économique. Les entreprises font déjà remonter à l’administration des données sur l’ensemble de leurs salariés. Appariées au recensement, ces données contiennent toutes les informations vraiment utiles pour calculer des écarts de salaires horaires entre femmes et hommes selon les modalités proposées par le gouvernement. L’administration est donc déjà en mesure de produire les statistiques envisagées.

Plutôt que de demander à chacune des 30 000 entreprises de plus de 50 salariés de constituer et mettre à jour une base de données ad hoc et de faire fonctionner un nouvel outil, il serait beaucoup moins coûteux d’avoir une solution centralisée. Et il semble, en outre, assez logique que le régulateur cherche à alléger la charge que vont représenter les nouvelles contraintes légales, ne serait-ce que pour les entreprises qui ne discriminent pas.

Le fait que l’administration produise directement des données sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes permet également d’assurer en amont la qualité et la fiabilité des chiffres, garantissant à la fois le secret statistique (l’impossibilité d’identifier des salariés en particulier) et l’égalité de traitement entre entreprises.

Cette garantie sur les chiffres produits en amont limitera ensuite le coût de contrôle lorsqu’il s’agira de trancher des litiges et de sanctionner les entreprises qui seront en infraction. Si les entreprises calculent elles-mêmes les écarts de salaires à partir de données que personne n’a pu vérifier, les inspecteurs du travail, déjà surchargés, vont devoir effectuer au cas par cas un considérable travail de collecte et vérification ex post. Cela nécessitera certainement plus de moyens que la solution que nous proposons.

Prise de conscience utile

Mais les avantages d’une agence publique vont bien au-delà de cette réduction du coût global. L’enjeu essentiel est de fournir aux entreprises un bilan pédagogique des différentiels de carrières entre les femmes et les hommes, qui puisse engendrer une utile prise de conscience et servir de base aux négociations.

Chaque année, les femmes françaises gagnent un quart de moins que leurs homologues masculins du fait de leur travail. Environ un tiers de ce « quart manquant » s’explique par le fait que les femmes sont plus souvent à temps partiel (choisi pour des raisons familiales ou
imposé à l’embauche par l’employeur) et travaillent moins d’heures dans l’année. Mais les deux tiers restant ne peuvent pas s’expliquer par le temps de travail : pour chaque heure travaillée, les femmes gagnent environ 15 % de moins que les hommes, soit un écart de 2 euros en moyenne qui n’a pratiquement pas évolué depuis 1995.

Cet écart de 15 % pour chaque heure travaillée ne peut s’expliquer par des différences de qualifications (les femmes entrant sur le marché du travail sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes) ou d’expérience (peu de femmes interrompent leur carrière après la naissance de leur premier enfant).

Un tiers s’explique par le fait qu’à niveau de diplôme égal, les femmes sont surreprésentées dans des métiers de services structurellement moins bien payés (secrétaire, aide-soignante, vendeuse) mais pourtant de valeur juridiquement égale. Un écart d’environ 10 % par heure travaillée subsiste in fine entre femmes et hommes à âge, niveau de diplôme, métier et poste de travail identiques.

Un bilan complet et pédagogique

On le voit, les inégalités au travail entre les sexes ne peuvent se résumer à un seul chiffre. Il est très important de disposer d’indicateurs synthétiques fiables afin de pouvoir dresser un bilan précis de la situation d’une entreprise. Au-delà du critère de déclenchement des sanctions, les entreprises doivent être correctement informées : quels sont les écarts de salaire bruts entre les sexes ? Sont-ils dus à des différences de recrutement, d’évolution de carrière, de primes variables plus arbitraires, de temps partiel, à une ségrégation entre types de postes, etc. ?

L’idée de créer une entité s’inscrit dans le prolongement des propositions du gouvernement d’utiliser des techniques statistiques reconnues. Mais elle permet de s’appuyer sur des données plus riches dont l’exactitude est garantie, d’assurer une utilisation plus aboutie des techniques proposées afin de transmettre les informations sous un format clair et intelligible à l’ensemble des partenaires sociaux. Il s’agira de produire un bilan complet et pédagogique qui permettra de limiter les tensions et incompréhensions qui pourraient survenir si les employeurs produisent directement quelques statistiques limitées à partir de méthodes que ni eux ni les salariés ne maîtrisent.

La France dispose d’experts qualifiés de différentes disciplines (économie, sociologie, droit) et d’excellents statisticiens qui, au sein de la statistique publique, produisent et exploitent des données de grande qualité. Il serait dommage de ne pas en tirer parti pour développer une approche innovante sur la question essentielle des inégalités sexuées au travail.

Les signataires : Anne Boring (Erasmus University Rotterdam, Sciences Po), Antoine Bozio (Ecole d’économie de Paris et EHESS), Thomas Breda (Ecole d’économie de Paris et CNRS), Julia Cagé (Sciences Po), Vincent-Arnaud Chappe (Centre de sociologie de l’innovation et CNRS), Daniel Cohen (Ecole normale supérieure), Laurent Gobillon (Ecole d’économie de Paris et CNRS), Olivier Godechot (MaxPo, CNRS), Julien Grenet (Ecole d’économie de Paris et CNRS), Elyès Jouini (Paris-Dauphine, PSL), Camille Landais (London School of Economics), Marion Leturcq (INED), Dominique Méda (Paris-Dauphine, PSL), Dominique Meurs (Paris-Nanterre et INED), Françoise Milewski (OFCE, PRESAGE, Sciences Po), Clotilde Napp (Paris-Dauphine, PSL), Hélène Périvier (Sciences Po, Presage), Sophie Pochic (Centre Maurice-Halbwachs et CNRS), Mirna Safi (Sciences Po), Rachel Silvera (Paris-Nanterre, Mage-Cerlis), Maxime To (Institut des politiques publiques).



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