olivier godechot

Lundi 16 Novembre 2009 | Les Echos, « La fenêtre de régulation est déjà passée »

OLIVIER GODECHOT CHERCHEUR AU CNRS
« La fenêtre de régulation est déjà passée »

[ 16/11/09 ]

Auteur de deux ouvrages sur la finance, dont l'un porte sur les rémunérations du secteur (*), le sociologue Olivier Godechot, chercheur au CNRS, est venu présenter ses travaux à New York. Il explique les mécanismes qui ont contribué à la hausse des bonus dans cette industrie et la difficulté à la réglementer.
Qu'est-ce qui explique la rapide inflation des salaires et bonus dans la finance ces vingt dernières années ?

Dans les années 1970, les financiers étaient rassemblés dans des « part­nerships » et les salariés avaient l'espoir à long terme de devenir associé, d'accéder à la propriété du capital et d'en toucher les dividendes. Cela les liait fortement à l'entreprise. Dans les années 1980, avec la montée du prix des actions, les « partners » les plus anciens ont réalisé qu'ils gagneraient beaucoup plus d'argent en faisant coter leur société. Cela a supprimé les incitations de long terme dans l'industrie financière. A côté de cette transformation structurelle, d'autres phénomènes ont joué. La dérégulation dans les années 1970 a libéré les courtages, les marchés de produits dérivés ont démarré. Tous ces facteurs ont fait que la sphère financière, qui était un peu marginale, est passée au centre du système avec un afflux de capital considérable et des volumes de transactions très importants. La croissance des volumes a été beaucoup plus importante que la baisse des taux de courtage, ce qui fait que l'argent à distribuer aux salariés est allé croissant. La globalisation a aussi entraîné la création de filiales à Wall Street de banques européennes qui ont cherché à débaucher des équipes sur place à prix d'or.
Comment justifier des rémunérations devenues exorbitantes ?

Les banquiers ont un système de justification qui est double et asymétrique et qui permet de toujours tirer son épingle du jeu. Premier cas de figure, les résultats sont là, et il faut payer les gens au résultat. Deuxième cas de figure, les profits ne sont pas là, mais il faut payer les gens à la valeur du marché du travail.
Dans votre livre, vous expliquez qu'il y a une particularité de l'entreprise financière qui conduit à ce type de rémunération ?

En entrant, un junior va capitaliser un ensemble de biens. Le savoir-faire qu'il va acquérir, ses connexions avec les clients. Pour une certaine catégorie de salariés, comme un chef de salle, ils peuvent même capitaliser l'équipe. C'est cette appropriation des actifs clefs qui donne au salarié le pouvoir de réclamer une très forte rémunération, qui n'est plus seulement celle de sa propre personne mais de toute l'activité qu'il peut transporter avec lui. Il a une capacité d'expropriation de l'entreprise en quelque sorte.
Peut-on corriger une situation que beaucoup jugent excessive ?

Je pense que la fenêtre de régulation est déjà passée. Le moment de crise où tous les secteurs de la finance étaient touchés après la faillite de Lehman est très vite passé. Les régulations proposées par l'administration américaine consistent surtout à punir ceux qui ont fauté beaucoup plus que changer les règles pour l'ensemble de la communauté financière. Ce type de régulation partielle contient son propre échec. L'un des buts de la législation est de diminuer la taille de grandes entreprises, mais il ne faut pas oublier qu'en période de crise le risque systémique posé par la faillite de multiples petites institutions est aussi important et très difficile à corriger.
Les Echos


(*) « Working Rich, salaires, bonus et appropriation des profits dans l'industrie financière », La Découverte, 2007, et « Les Traders. Essai de sociologie des marchés financiers », La Découverte, 2001.


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