olivier godechot

Jeudi 19 février 2009 | Marianne 2

GODECHOT Olivier interviewé par Emmanuel Lévy, 2009, « Mieux vaut taxer les traders que leur faire la morale! », Marianne 2.



«Mieux vaut taxer les traders que leur faire la morale!»
Olivier Godechot est chercheur en sociologie à l'EHESS. Auteur de deux livres sur l'univers des traders et de nombreux articles de recherche, il commente pour Marianne2.fr la publication d'un texte sur la rémunération des professionnels des marchés financiers.

Marianne2.fr : La Fédération Bancaire Française a publié un texte sur la rémunération des professionnels des marchés financiers. Des mots prudes pour parler de l'encadrement des bonus des traders. Les banques françaises ont annoncé vouloir faire de ce document l'alpha et l'omega de leur politique de rémunération de leur traders. Qu'apporte ce texte, selon vous ?
Olivier Godechot : À mon sens, ce texte n'est ni une révolution, ni même une réforme mais plutôt une entreprise de codification pour généraliser des pratiques qui sont déjà à l'oeuvre dans de nombreux établissements. Par exemple, les bonus différés en fonction des résultats sont déjà en train d'être instaurés chez UBS ou Morgan Stanley. Il s'agit en réalité de donner un vernis de volontarisme gouvernemental à des évolutions qui sont en train d'être adoptées par le secteur. Ce texte relève davantage de la soft law, autrement dit de la réglementation de faible intensité, que de l'instauration de nouvelles règles contraignantes. Ces préceptes servent de guide, éventuellement d'éléments de coordination, et en cela c'est mieux que rien, mais ils n'ont pas d'aspect véritablement impératif.

Donc rien ne change ?
O.G. : Certains des principes sur lequel le document insiste sont déjà adoptés depuis plusieurs années. Ainsi l'introduction de la notion de « coût complet » des opérations financières, c'est-à-dire qui intègre les frais indirects, le coût du risque, le coût du capital. L'idée est d'indexer les bonus des opérateurs financiers sur un flux de revenu qui tienne compte de tous ces éléments et non seulement des performances ponctuelles. Le fait d'étaler les bonus sur plusieurs années et de conditionner le versement de ceux-ci à la pérennité des résultats étaient largement en cours d'adoption lors de la rédaction du rapport.

En revanche, certains principes sont plus nouveaux. Le texte propose ainsi de bannir les bonus garantis tout en ménageant malgré tout de nombreuses exceptions : recrutement, protection contre les débauchages... Dans le contexte actuel d'un marché du travail anémique dans la finance, le suivi de ce principe ne sera pas trop contraignant. La question se posera plus lors d'une éventuelle reprise.

Ensuite, il est affirmé que la rémunération des fonctions support et de contrôle des risques doit être à la fois revalorisée par rapport aux traders qui sont en relation directe avec les clients et être rendue indépendante par rapport à eux. Voilà un vrai changement. Dans les années passées, les bonus de ceux qui évaluent le risque (la fonction dite « suppports ») étaient strictement proportionnels à ceux gagnés par le « front », c'est-à-dire ceux qui vendent aux clients et prennent des risque, ce qui n'incitait pas les premiers à assurer pleinement le rôle prudentiel. En même temps, les formes de cette politique alternative de rémunération restent étonnamment floues et entrent aussi en contradiction avec la nécessité d'aligner tant la rémunération du front-office et que celle des supports sur les résultats de l'entreprise.

Quels effets peut-on en attendre ?
O.G. : Je voudrais insister sur cette notion de « coût complet ». A priori, on pourrait se dire qu'il n'y a pas de politique plus saine que de faire supporter aux opérateurs financiers les risques que leurs opérations engendrent. Cette analyse est juste dans le cas des produits les plus simples et les plus standards pour lesquels on sait bien mesurer les risques. Mais ça ne l'est pas forcément pour les produits les plus complexes. Les risques sont en effet mal connus et il existe alors plusieurs hypothèses de valorisation. La mesure des risques est in fine négociée entre le « front office » et les services de contrôle des risques. Dans le cadre d'une politique rémunération fondée sur le coût complet, le front office fera pression pour sous estimer la mesure des risques et maximiser son budget de bonus. En finance, il y a pire que de prendre trop de risques, c'est de les sous estimer. C'est peut-être là le drame des subprimes.

Différer les bonus et les conditionner aux résultats aura des effets ambivalents. D'un côté cela rallonge, comme souhaité, l'horizon des traders et diminue la tendance à la prise de risque à court terme. En outre, cela limite le turn-over des salariés et cela freine la spirale inflationniste sur le marché du travail. Mais d'un autre côté, cela risque de formaliser considérablement la distribution des bonus. Celle-ci est en effet discrétionnaire. Elle est décidée par le chef d'équipe qui introduit une certaine mutualisation entre les membres de son desk, laquelle pourrait disparaître dès lors que le bonus est différé et promis sous certaines conditions, qu'il faudra alors écrire, à l'opérateur. Qui plus est on peut craindre que ce processus cloisonne encore plus en interne les métiers de traders par rapport aux autres métiers. Pourquoi bouger, dès lors que votre successeur, peut ruiner votre résultat et vos bonus différés ?

Qu'aurait-on pu faire d'autre ?
O.G. : Alors qu'il existe une fenêtre idéale pour une véritable régulation, ce code n'est sans doute pas à la hauteur des enjeux. Premièrement, si l'on estime que la politique de rémunération dans la banque peut engendrer un risque global dont le coût est pris en charge par la collectivité, il n'y pas à tergiverser. Il faut que les autorités de régulation surveillent ces risques induits par les rémunérations et que les banques leur communiquent des données détaillées sur la constitution, la ventilation et la distribution des enveloppes de bonus. Enfin dès lors que l'État vient au secours des banques en difficulté et que l'on nous dit que ces difficultés sont des conséquences de la politique de rémunération, il faut que l'État entre dans le capital des banques, et qu'il soit présent au sein des conseils d'administration pour imposer ses options, beaucoup plus impératives...

Plutôt que de fustiger l'immoralité des patrons et des banquiers voyous, plutôt qu'un traitement moral des rémunérations, qui ne mène nulle part, préférons un traitement fiscal. Taxons plus fortement les rémunérations supérieures à un million d'euros. L'élection d'Obama, les velléités d'Angela Merkel ou de Gordon Brown en la matière ouvrent une fenêtre de coordination internationale qui pourrait mettre un terme à la désastreuse politique du moins-disant fiscal.

Dernier livre paru d'Olivier Godechot : « Working rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière », éd. La Découverte.


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