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Godechot Olivier, 2007 , « Il faut interdire le localisme », Système D, n°22, septembre, p. 12.Version abrégée publiée dans Entretien
Olivier Godechot Système
D, septembre 2007 De quelles données dispose-t-on aujourd'hui pour mesurer
la part du localisme en matière de recrutement dans la recherche et
l'enseignement supérieur ? Le ministère publie chaque
année depuis quatre ou cinq ans des enquêtes sur les recrutements des
enseignants chercheurs. Ces publications permettent de mesurer le taux brut de
localisme. Mais elles ne permettent pas de cerner complètement le « biais
localiste », c'est-à-dire la préférence systématique pour les candidats
« locaux ». Pour pouvoir mesurer le « biais localiste », il
faut se donner un point de comparaison abstrait, hypothétique, c'est-à-dire un
univers idéal où les départements universitaires recruteraient sans tenir
compte du caractère local ou non du docteur. La construction de ce point
comparaison est complexe et repose nécessairement sur une série d'hypothèses ad-hoc. Nous avions essayé de mener un tel travail avec Nicolas
Mariot dans Système D et dans Vous proposez d'interdire le localisme ? Dans une tribune publiée en
juin dans Le Monde, je propose
effectivement d'interdire aux universités de recruter comme maître de
conférences un candidat qui a obtenu le doctorat en son sein depuis moins de
quatre ans. Cette proposition n'est pas très originale et il serait absurde de
m'en accorder la paternité exclusive. Cette mesure n'est d'ailleurs pas
parfaite. Elle ne cible qu'une forme de proximité : le fait d'avoir été un
ancien docteur (et souvent collègue) dans l'établissement. Il existe d'autres
formes d'autorecrutement : on peut être recruté par un ancien condisciple
issu de la même école ou de la même université, par un membre de son jury de
thèse ou encore dans une université où son directeur a exercé quelques années
auparavant et où il garde des contacts Bien sûr, ce serait
merveilleux si on pouvait arriver au même résultat autrement, sans avoir à
passer par la case interdiction du localisme. L'initiative qui consiste à
publier la liste des candidats auditionnés et classés est excellente, et elle
devrait être prolongée en rendant obligatoire l'affichage sur les sites
internet des universités. Mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Et cette
mesure, facile à mettre en place, a aussi pour elle un grand nombre
d'avantages. L'interdiction du localisme ne risque-t-elle toutefois
pas de renforcer les inégalités sur le marché du travail académique entre les
docteurs issus d'établissements prestigieux comme Paris 1 ou Sciences-po et les
autres ? Il y a inégalités et
inégalités. Le monde académique, fondamentalement inégalitaire, estime
généralement que les inégalités en matière de capacité d'enseignement et de
recherche sont légitimes et qu'elles doivent être consacrées et que les
inégalités dans d'autres dimensions
extra-scientifiques et extra-pédagogiques (sexe, richesse, origine
sociale, relations, etc.) sont illégitimes et non-pertinentes. En empêchant le biais local
de se manifester, on oblige les universités à choisir entre des extérieurs
qu'elles connaissent moins. Elles seront sans doute plus enclines à utiliser
des critères académiques pour faire leur choix. Cela favorisera les docteurs
extérieurs qui ont plus de publications, qui ont manifesté leur capacité
d'exposition par la réussite à des concours et qui bien souvent viennent des
établissements les plus prestigieux. Cette inégalité entre en congruence avec
l'élitisme académique même si elle est aussi le produit d'inégalités
extra-scientifiques antérieures et extérieures. Mais cet avantage conféré aux
établissements les plus prestigieux doit être nuancé. D'abord, les
établissements prestigieux seront aussi gênés pour recruter leurs propres
docteurs ; ensuite, l'interdiction du localisme pourra à moyen terme
modifier la situation d'établissements peu prestigieux et très endogames. En
contraignant un département à recruter à l'extérieur, on l'oblige à s'ouvrir à
des éléments externes peut-être susceptibles de le faire sortir de l'équilibre
bas dans lequel sa consanguinité l'emprisonne. Une agrégation du supérieur comme il en existe en science
politique, en économie ou en droit constitue-t-elle à vos yeux un mode de
recrutement préférable ? Sur le principe, je suis
assez favorable à un concours national comme il en existe pour les organismes
de recherche ou l'enseignement secondaire. Mais l'agrégation du supérieur a un
certain nombre d'inconvénients qui font qu'elle ne saurait être généralisée
telle quelle comme mode de recrutement des professeurs, le premier étant
peut-être que la forme du concours accorde un peu trop d'importance aux
capacités rhétoriques, aux talents d'orateurs et de pédagogues, par rapport aux
compétences de chercheur. De quels dispositifs en vigueur dans les autres pays
pourrions-nous selon vous nous inspirer ? Il faut distinguer deux choses : l'organisation de
la mobilité et l'instabilité de l'emploi. Il vaut mieux, je pense, imposer,
comme aux Etats-Unis, une mobilité obligatoire à l'entrée de la carrière
académique qu'au milieu de celle-ci comme en Allemagne. Un maître de
conférences peut avoir beaucoup investi non seulement dans la construction de
ces cours, mais aussi dans la prise en charge des cursus, d'un département,
d'une UFR. En revanche, je suis hostile à l'introduction d'une tenure track[3]
à la française ou pire à des postes d'assistant à durée déterminée et
non-renouvelable comme en Allemagne. Il est possible de rendre la carrière
d'enseignant-chercheur plus incitative sans adopter pour autant le bâton de la
précarisation, aux effets potentiellement délétères et contreproductifs. Olivier Godechot Version EO,
8.07 ___________________________________________________________________________ Version longue à paraître sur
le site internet : http://ancmsp.apinc.org Questions O.
Godechot Système D. De quelles données dispose-t-on aujourd'hui pour mesurer
la part du localisme en matière de recrutement dans la recherche et
l'enseignement supérieur ? Le ministère publie chaque année depuis quatre ou cinq
ans des enquêtes sur les recrutements des enseignants chercheurs. Sur le site
suivant : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/personnel/enssup/,
on peut trouver une série de rapports sur l'Origine
des enseignants chercheurs recrutés lors de la campagne 2006, [resp. 2005,
2004, 2003, 2002]. Ces enquêtes sont effectuées, il me semble, à partir du
dispositif d'inscription ANTARES. Ces données publiées sont utiles et intelligemment
présentées. En effet, le ministère distingue plusieurs formes de
localismes : candidat ayant à la fois soutenu son doctorat dans
l'université et effectué un service d'enseignement, candidat ayant soutenu son
doctorat dans l'université mais ayant effectué un service d'enseignement
ailleurs ou n'ayant pas enseigné, candidat ayant soutenu ailleurs mais ayant
travaillé comme moniteur ou ATER dans
l'université, candidats externes de la même académie ... Ces différentes
catégories de « localisme » sont ensuite croisées avec les
universités, les grandes disciplines (lettres, droit, sciences) et les statuts
des candidats. Ces publications permettent de mesurer le taux brut de
localisme. Mais elles ne permettent pas de cerner complètement le « biais
localiste », c'est-à-dire la préférence systématique pour les candidats
« locaux ». En effet, et je voudrais insister sur ce point, le
localisme est quelque chose d'assez complexe à mesurer rigoureusement. Par exemple, un taux de localisme de 25% n'a pas la même
signification dans une discipline où il y a quatre établissements qui
produisent des docteurs et qui recrutent et dans une discipline où il y en
cinquante. Dans le premier cas, en admettant que les établissements sont de
taille équivalente, il n'y a pas de préférence locale. Dans le second, au
contraire elle est très forte. De même, un taux de localisme brut de x% n'a pas la même
signification dans un gros établissement que dans un petit établissement ou
encore dans un établissement en haut de la hiérarchie du prestige et en bas de
la hiérarchie du prestige. Pour pouvoir mesurer le « biais localiste », il
faut se donner un point de comparaison abstrait, hypothétique, c'est-à-dire un
univers idéal où les départements universitaires recruteraient sans tenir
compte du caractère local ou non du docteur. La construction de ce point
comparaison est complexe et repose nécessairement sur une série d'hypothèses ad hoc sur les préférences des
candidats, sur la structure de compétition pertinente, sur l'éventuelle
hiérarchie des établissements, etc. Pour pouvoir mesurer le biais localiste, il
faut pouvoir constater non seulement le recrutement tel qu'il est mais aussi
reconstruire le recrutement tel qu'il aurait pu être en délimitant la liste des
rivaux potentiels pertinents. Celle-ci ne se réduit pas à la liste des
candidats ayant envoyé par exemple leur dossier. Il faut aussi tenir compte du
fléchage, lequel dans certains cas (mais pas toujours) a été défini pour favoriser
des candidats connus, les candidats locaux. Nous avions essayé de mener un tel travail avec Nicolas
Mariot dans Système D et dans Il est important de comprendre que lorsque l'on regarde
de l'extérieur un recrutement donné, on peut difficilement dire s'il révèle un
« biais localiste ». On ne peut le faire qu'en se mettant à la place
du jury et en comparant les dossiers termes à termes, pour voir si le candidat
local recruté est « meilleur » que les externes refusés. Mais d'un
point de vue statistique, on dira : « on a recruté un local alors
qu'à l'indépendance on devrait en recruter 0,03 »... Or on ne peut pas en
couper les individus en morceaux. Le biais localiste ne peut donc s'apprécier
que sur de grandes masses. Dans une discipline donnée, on ne pourra apprécier
le localisme d'un établissement qu'en réunissant dix à quinze années de
concours. Dans une tribune publiée en juin dans le journal le
Monde, vous plaidez pour l'interdiction du localisme. Qu'est ce qui, à vos
yeux, justifie une telle proposition ? Dans cette tribune, je propose effectivement d'interdire
aux universités de recruter comme maître de conférences un candidat qui a obtenu
le doctorat en son sein depuis moins de quatre ans. Cette proposition n'est pas
très originale et il serait absurde de m'en accorder la paternité exclusive. Pourquoi une telle mesure ? Elle vient d'un
diagnostic général : lors du processus de recrutement, la proximité
personnelle au jury joue un rôle trop important par rapport à l'évaluation des
compétences de chercheur, d'enseignant, voire même d'administrateur. Il ne
s'agit pas de dire « il y a les purs d'un côté et les impurs de l'autre »
et de se reposer sur une condamnation morale des seconds, aussi inutile
qu'hypocrite. Il s'agit de trouver un dispositif de régulation d'une tendance qui
nous hante tous, qui a aussi sa propre moralité (la fidélité), mais qui
généralisée contredit les normes morales du monde académique (l'excellence
scientifique). Cette mesure n'est pas parfaite. Elle ne cible qu'une
forme de proximité : le fait d'avoir été un ancien docteur (et souvent collègue)
dans l'établissement. Il existe d'autres formes d'autorecrutement : on
peut être recruté par un ancien condisciple issu de la même école ou de la même
université, par un membre de son jury de thèse ou encore dans une université où
son directeur a exercé quelques années auparavant et où il garde des contacts. Pis encore, cette mesure autoritaire a bien sûr quelque
chose d'inadmissible. Elle oblige dans certains cas à aller chercher ailleurs
quelqu'un de moins sûr, qu'on connaît moins bien, alors qu'on a chez soi
quelqu'un qu'on connaît, qu'on apprécie et qui fait parfaitement l'affaire. Toutefois cette mesure a aussi pour elle un grand nombre
d'avantages. Premièrement, elle est simple et facile à mettre en place. Non
seulement il serait très difficile d'interdire toute interférence des relations
personnelles dans le recrutement (en raison de la difficulté à les observer et
à les définir), mais dans un monde où la valeur des individus se construit le
long des lignes du réseau, cela pourrait conduire à paralyser totalement le
recrutement. Mais interdire le localisme correspond à l'interdiction de la
forme la plus massive d'autorecrutement sans pour autant paralyser le
recrutement[6]. Lorsque
l'on travaille sur le recrutement avec les outils d'analyse des réseaux, on
peine à mettre en évidence des effets de réseaux distants tant le localisme
surclasse les autres phénomènes. Certains critiques de ma proposition disent que cette
interdiction entraînera « des échanges de bons procédés entre les
universités » pour le recrutement mutuel de docteurs et que le remède serait
« pire que le mal ». Il est certain que l'interdiction du localisme
favorisera la mobilisation de contacts plus lointains. Mais imposer un nom auprès
de contacts éloignés est une opération plus difficile que de le faire dans une
communauté de travail qui se côtoie toute l'année. Il faut être en contact avec
un nombre suffisant de personnes pour obtenir la majorité. Les calendriers de disponibilité
des postes, de production de docteurs, etc. ne coïncident pas forcément pour
faire du donnant-donnant. On peut facilement déroger à l'obligation de
réciprocité. Bref, je ne pense pas que ce possible effet pervers soit si important
que cela. Je vois mal comment il pourrait être plus important que les effets
pervers liés à la situation actuelle. Bien sûr, ce serait merveilleux si on pouvait
arriver au même résultat autrement, sans avoir à passer par la case
interdiction du localisme. L'initiative de l'ANCMSP, de Baptiste Coulmont, ou
des mathématiciens de favoriser la transparence en publiant la liste des
candidats auditionnés et classés est ainsi excellente. Elle peut contribuer à
changer les choses. Il faudrait non seulement l'encourager mais aussi la
pérenniser en rendant cet affichage obligatoire sur les sites internet des
universités[7]. Mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Le rôle de
la l'interdiction du localisme jouerait potentiellement le même rôle que la loi
sur la parité dans les scrutins de liste où l'on impose l'alternance obligatoire
des hommes et des femmes : bouleverser par la contrainte les pratiques
pour transformer durablement les normes. Et ce n'est qu'une fois que ces
dernières sont transformées, que l'on peut envisager un assouplissement de la
contrainte. On m'a ainsi écrit suite à mon article dans Le Monde pour suggérer qu'il fallait
sanctionner les établissements trop « localistes » plutôt que
d'interdire le localisme : « Il existe une réponse beaucoup plus simple et
efficace pour faire de la politique scientifique : les tutelles. On connaît
plusieurs exemples ou le CNRS a sanctionné un laboratoire pour localisme, en
lui retirant un poste de CR l'année suivante. Il suffirait de systématiser ces
pratiques en renforçant le pouvoir et les moyens de nos tutelles. » Cette solution me paraît difficile. Sur la base d'un
raisonnement statistique, le localisme d'un établissement donné, une année
donnée, est difficile à apprécier, en raison de la petitesse des effectifs en
jeu. Ou bien alors il faudrait refaire entièrement le processus d'évaluation
des candidats. C'est pourquoi je propose une mesure générale aussi imparfaite
soit-elle qui traite le phénomène à la fois globalement et très simplement. L'interdiction du localisme ne risque-t-elle toutefois
pas de renforcer les inégalités sur le marché du travail académique entre les
docteurs issus d'établissements prestigieux comme Paris 1 ou Sciences-po et les
autres ? Il y a inégalités et inégalités. Le monde académique,
fondamentalement inégalitaire, estime généralement que les inégalités en
matière de capacité d'enseignement et de recherche sont légitimes et qu'elles doivent
être consacrées et que les inégalités dans d'autres dimensions extra-scientifiques et extra-pédagogiques (sexe,
richesse, origine sociale, relations, etc.) sont illégitimes et non-pertinentes.
Le problème, c'est que ces deux ordres d'inégalités ne sont pas indépendants.
Le recrutement doit-il être le lieu de compensation d'inégalités
extra-scientifiques au risque de subvertir sa hiérarchie scientifique ?
C'est une politique que l'on peut légitimement prôner mais dont il faut savoir
mesurer tous les tenants et aboutissants. En empêchant le biais local de se manifester, on oblige
les universités à choisir entre des extérieurs qu'elles connaissent moins.
Elles seront sans doute plus enclines à utiliser des critères académiques pour
faire leur choix. Cela favorisera les docteurs extérieurs qui ont plus de
publications, qui ont manifesté leur capacité d'exposition par la réussite à
des concours et qui bien souvent viennent des établissements les plus
prestigieux. Cette inégalité entre en congruence avec l'élitisme académique
même si elle est aussi le produit d'inégalités extra-scientifiques antérieures
et extérieures. Toutefois nuançons quelque peu cet avantage conféré aux
établissements les plus prestigieux. Premièrement, les établissements prestigieux seront aussi
gênés pour recruter leurs propres docteurs. Le localisme en haut de la
hiérarchie existe aussi à Paris I, à l'IEP, à l'EHESS. Ceci obligera donc à une
certaine forme de redistribution (si ces établissements s'abstiennent de recruter
tout leur personnel à la mutation). Deuxièmement, l'interdiction du localisme pourra à moyen
terme modifier la situation d'établissements peu prestigieux et très endogames.
En contraignant un département à recruter à l'extérieur, on l'oblige à s'ouvrir
à des éléments externes peut-être susceptibles de le faire sortir de
l'équilibre bas dans lequel sa consanguinité l'emprisonne. Une agrégation du supérieur comme il en existe en science
politique, en économie ou en droit constitue-t-elle à vos yeux un mode de
recrutement préférable ? Sur le principe, je suis assez favorable à un concours
national comme il en existe pour les organismes de recherche ou l'enseignement
secondaire. Mais l'agrégation du supérieur a un certain nombre d'inconvénients
qui font qu'elle ne saurait être généralisée telle quelle comme mode de
recrutement des professeurs. La leçon de 24 heures (supprimée récemment en
science politique et en économie) est une épreuve qui favorise outrageusement
les candidats parisiens (qui disposent d'une « équipe » sur place)
sur les autres candidats. Plus généralement, la forme du concours accorde
peut-être un peu trop d'importance aux capacités rhétoriques, aux talents
d'orateurs et de pédagogues, par rapport aux compétences de chercheur. Ce concours, très lourd et sportif, tend aussi à attirer
surtout les candidats jeunes. Le fait de pouvoir devenir très jeune professeur
est certes une bonne chose. Mais cela introduit un déséquilibre morphologique
dans la discipline entre une petite élite qui accède vite au rang de professeur
et une masse de maîtres de conférences vieillissants et renonçant à un concours
qui ne semble pas fait pour eux. Rien n'empêche bien sûr de rééquilibrer l'épreuve pour
faire face à certains défauts. Mais s'il faut imposer une épreuve nationale, je
préfère qu'elle soit organisée au niveau des maîtres de conférences que des
professeurs. De quels dispositifs en vigueur dans les autres pays
pourrions-nous selon vous nous inspirer ? Ce que je vais dire sera sans doute partiel car je ne
suis pas du tout un expert des différents systèmes académiques[8].
Aux États-Unis, le recrutement local n'est pas formellement interdit (il peut être
pratiqué dans certains établissements d'élite comme le MIT ou Harvard) mais il est
largement condamné et reste très rare au niveau des assistant professors. En revanche, les enseignants sur des tenure tracks deviennent généralement full professors dans leur établissement.
En Allemagne et en Suisse, la mobilité est obligatoire entre le poste
d'assistant et celui de professeur et les postes d'assistant sont à durée
limitée (6 ans) non renouvelables, au terme duquel le candidat passe
l'habilitation. Il faut distinguer deux choses : l'organisation de
la mobilité et l'instabilité de l'emploi. Il vaut mieux, je pense, imposer, comme aux Etats-Unis,
une mobilité obligatoire à l'entrée de la carrière académique qu'au milieu de
celle-ci comme en Allemagne. Un maître de conférences peut avoir beaucoup
investi non seulement dans la construction de ces cours, mais aussi dans la
prise en charge des cursus, d'un département, d'une UFR, investissements qu'une
mobilité obligatoire pour obtenir le rang de professeur pourrait dévaluer. La
mobilité obligatoire se marie mieux avec le changement plus fondamental de statut
lorsque l'on passe de doctorant à maître de conférences. En revanche, je suis hostile à l'introduction d'une tenure track à la française ou pire à
des postes d'assistant à durée déterminée et non-renouvelable comme en
Allemagne. Il est possible de rendre la carrière d'enseignant-chercheur plus
incitative sans adopter pour autant le bâton de la précarisation, aux effets
potentiellement délétères et contreproductifs. Que pensez-vous de l'idée d'accroître l'autonomie des
universités en matière de recrutement comme le prévoit le projet de loi en
préparation du gouvernement ? Il y a deux volets dans la réforme. Premièrement, la gestion des postes. Que l'université
gère son budget et puisse créer plus facilement et rapidement des postes,
soit ! Même s'il y a des risques[9]. Deuxièmement, la sélection des candidats. Il est
difficile d'évaluer complètement les effets de cette réforme parce que l'on ne
sait pas à l'avance ce qui va changer. Tout dépendra de la pratique des
universités. Les commissions de spécialistes, institutions collégiales, sont
remplacées par des comités de sélection nommées par le conseil
d'administration. Certes le passage d'un tiers de membres extérieurs à la
moitié de membres extérieurs détourne un peu ces nouveaux comités du
recrutement local. Mais les membres extérieurs restent choisis par l'université
et ne jouent pas toujours le rôle de contrepoids suggéré par leur effectif
numérique. Ils ne sont pas toujours enclins à s'opposer aux souhaits de
recrutement de ceux qui les ont désignés. Les universités peuvent donc très bien reconduire sous le
nom de « comité de sélection » les instances et les pratiques antérieures
(et c'est ce qui va probablement se produire dans un premier temps). Mais à
moyen terme, cela peut aussi bien favoriser un recrutement plus élitiste qu'un
recrutement plus clientéliste. Dans quelques universités d'élite où les présidents sont
particulièrement attentifs à place de leur établissement dans le classement
mondial des universités, les conseils d'administration pourront mettre leur
pouvoir accru au service d'un recrutement fondé sur les standards
internationaux d'excellence académique (liste de publications, etc.). Dans les autres universités où cet enjeu est
plutôt secondaire par rapport à la gestion quotidienne du flux d'étudiants,
cela risque plutôt d'aggraver les différentes formes de clientélisme, en
particulier si le président ajoute ou même substitue son propre réseau
personnel à ceux des professeurs des différents départements. La part des
personnalités extérieures dans les conseils d'administration peut faire
craindre aussi le parachutage de personnalités politiques ou économiques
régionales, que ce soit dans le cadre des recrutements par le « comité de
sélection » ou plus encore dans le cadre du recrutement direct
« d'agents contractuels » par le président lui-même. Quel sera l'équilibre global ? Tout dépend des
modalités de contrôle et d'incitation des établissements par le gouvernement.
En l'état, je crains qu'il soit dans l'ensemble plutôt favorable à des formes
de clientélisme renouvelées et centrées sur le conseil d'administration et son
président. Olivier Godechot [1] Godechot Olivier, Mariot
Nicolas, 2003, « Devenir des docteurs de science politique et
"localisme". Premiers éléments d'enquête », Système D, n°14 -
avril, p. 3-9 ; Godechot
Olivier, Mariot Nicolas, 2004, «
Les deux formes du capital social. Structure relationnelle des jurys de thèse
et recrutement en science politique », Revue française de sociologie,
vol. 45, n°2, p. 243-282 [2] Ibidem. [3] Système en vigueur aux
Etats-Unis par exemple, où les candidats à un poste sont recrutés pour une
durée plus ou moins longue mais déterminée (plusieurs années), au bout de
laquelle ils doivent le quitter l'établissement
s'ils n'ont pas été confirmés par une embauche (tenure) dans celui-ci. [4] Godechot Olivier, Mariot
Nicolas, 2003, « Devenir des docteurs de science politique et
"localisme". Premiers éléments d'enquête », Système D, n°14 -
avril, p. 3-9 ; Godechot
Olivier, Mariot Nicolas, 2004, «
Les deux formes du capital social. Structure relationnelle des jurys de thèse
et recrutement en science politique », Revue française de sociologie,
vol. 45, n°2, p. 243-282 [5] Ibidem. [6] Il n'y a guère que dans les
toutes petites disciplines comme les Études Indiennes où cela pourrait poser un
problème. [7] Il est quand même curieux
que la liste des candidats qualifiés soit publiée dans le Journal Officiel alors que celle des candidats recrutés ne l'est
nulle part. [8] Pour une comparaison bien
plus sérieuse, cf. Musselin Christine,
Le marché des universitaires. France -
Allemagne - Etats-Unis, Presses de Sciences-po, 2005. [9] Cela peut encourager le
président à transformer des crédits de personnel en crédits matériels,
immobiliers notamment, transformation irréversible selon |
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