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8 Juin 2016 | Eric Favereau, "Pas tous égaux devant la greffe de rein", LibérationPas tous égaux devant la greffe de rein Pas tous égaux devant la greffe de rein En France, on voue une passion formelle pour l’égalité des droits et on adore ainsi l’idée d’accès à tous aux soins. Patatras, un travail de l’Institut national d’études démographiques, rendu public ce mercredi matin, sur «les maladies rénales et les inégalités sociales d’accès à la greffe en France» (1) sonne comme un terrible contre-exemple. On y découvre en détail comment on a presque deux fois moins de chances d’être greffé d’un rein si on n’a pas fait d’études supérieures… Le constat de cette inégalité massive de santé est très révélateur de notre système de santé car s’y mêlent des raisons variées, liées à l’histoire et aux lobbies. Point de départ : en France, près de 76 000 personnes sont traitées pour une insuffisance rénale terminale (IRT). Pour eux, une double prise en charge est possible, soit la dialyse, soit la greffe de rein. La première est pénible pour le patient avec des séances bihebdomadaires qui durent trois à quatre heures où le sang est nettoyé de ses impuretés, et la dialyse coûte cher : plus de 85 000 euros tous les ans. Et elle ne s’arrête jamais. Bref, c’est une rente de situation pour les lieux qui en font (un tiers dans le privé, un tiers dans l’associatif, et un tiers dans le public). Aujourd’hui, en France, à peine 45% des patients qui en ont besoin sont greffés. C’est peu, très peu par rapport à d’autres pays européens. La raison ? Le milieu de la néphrologie française a défendu bec et ongles la dialyse pendant des années, et cela pour des raisons pas toujours avouables, se montrant ainsi réservé vis-à-vis de la greffe qui, pourtant, coûte beaucoup moins cher (86 000 euros la première année, puis 2 000 euros de suivi). Une greffe fonctionne en moyenne en plus de quinze à vingt ans. Dans plusieurs rapports, la Cour des comptes, mais aussi les états généraux des reins en 2012, ont pointé cette aberration économique : la prise en charge des IRT revient ainsi à plus de 4 milliards d’euros par an, dont 82% rien que pour la dialyse. Que d’argent perdu… Mais voilà, les changements sont lents, les lobbies puissants et le statu quo perdure. L’étude, présentée mercredi matin, est importante, car elle montre qu’au-delà de l’absurdité financière du choix retenu de la dialyse, se rajoute une inégalité sociale choquante. La double peine, en somme. Dans ce travail, on retrouve des chercheurs de haut vol, mais aussi la chaire santé de Sciences-Po, ainsi qu’une association de patients atteints de maladies rénales, Renaloo. Ils ont travaillé sur le profil général des personnes souffrant d’IRT, puis ont regardé les caractéristiques de ceux qui sont greffés et de ceux qui ne le sont pas, le tout tempéré par différentes variables sociales économiques. Le résultat est sans appel : si vous avez un niveau d’études équivalent à un master, vous avez presque deux fois plus de chances d’être greffé que si vous vous êtes arrêtés au primaire. Comment l’expliquer ? Et c’est là que l’on rentre dans une analyse, aussi intéressante que complexe. D’abord, peut-être que la nature des pathologies rénales n’est pas la même dans les deux groupes sociaux ? «C’est en partie vrai», répond Christian Baudelot, sociologue au laboratoire de l’Ecole normale supérieure. «Dans les classes, disons, populaires, les pathologies rénales sont plus souvent la conséquence d’autres pathologies, et les greffeurs sont plus réticents à intervenir. C’est important de le noter, mais cela n’explique pas tout», ajoute ce chercheur à l’itinéraire particulier puisqu’il a lui même donné un rein à sa femme, atteinte d’une maladie. Quels sont, alors, les autres facteurs explicatifs de cette inégalité ? Pour les chercheurs, il ressort que les patients avec un niveau d’études plus élevé, ont les moyens, eux, de se défendre, de s’informer, d’influer sur la prise en charge, et de noter ainsi l’intérêt manifeste de la greffe. «Il y a une dynamique cumulative qui conduit à ces inégalités», argumente Christian Baudelot. Autre constat qui confirme ce décalage : les greffes à partir d’un donneur vivant, qui se développent beaucoup en France, sont essentiellement le fait des classes supérieures. Pourquoi ? Là encore, c’est un manque d’information qui en serait la cause. Le seul moment de démocratie arrive après, lors de l’inscription sur la liste d’attente. Là, tout se régule. Ou presque. En effet, passé un certain stade clinique d’insuffisance rénale terminale, la personne peut donc être inscrite sur une liste d’attente pour recevoir un greffon. Elle doit attendre. Par le biais d’algorithmes compliqués, la personne reçoit un numéro qui tient compte de l’urgence, mais aussi d’autres facteurs médicaux. «Dans cette gestion de la liste d’attente, il n’y a plus de différence entre les personnes selon leur niveau d’études», notent les chercheurs. Ouf… Mais comme rien n’est décidément simple, d’autres inégalités peuvent surgir. Car cela dépend des régions. Certaines régions vont avoir beaucoup d’inscrits et peu de donneurs, et donc la liste d’attente sera très longue. Et d’autres ont peu d’inscrits mais beaucoup de donneurs, là vous serez greffé plus rapidement. Pour résumer et dans l’idéal, un conseil s’impose : il faut vivre à Poitiers, avoir un niveau de master, et là vous serez greffé sans trop attendre. Drôle de démocratie sanitaire. (1) Population, volume 71, publié par l’Institut national d’études démographiques : enquête réalisée par Christian Baudelot, Yvanie Caillé, Olivier Godechot, et Sylvie Mercier. |
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