olivier godechot
BONUS La France ouvre la voie
Par par Soraya Haquani, avec Stéphanie Salti, à Londres le 03/09/2009
Sans engagement des autres places financières, les mesures de l'Elysée affaibliraient les banques françaises.

C'est une partie serrée que va jouer Nicolas Sarkozy à la prochaine réunion du G20 qui se tiendra à Pittsburgh les 24 et 25 septembre prochains. Le chef de l'Etat a voulu montrer la voie à ses partenaires européens et anglo-saxons en annonçant, le 25 août dernier, de nouvelles mesures visant à encadrer les bonus au sein des banques françaises. « J'ai été scandalisé de voir les leçons de la crise si vite oubliées par certains, alors même que la page de la crise n'est pas tournée (...). Ce n'est pas acceptable, a martelé le président de la République devant les banquiers réunis à l'Elysée. (...) Aucun Etat n'a adopté de règles aussi précises et aussi contraignantes que celles que je viens d'évoquer. » En substance, les engagements imposés aux établissements bancaires avec effet immédiat reprennent les principes du code de bonne conduite élaboré par la Fédération bancaire française en février dernier. Mais des éléments nouveaux viennent aussi durcir le mode de distribution des rémunérations variables.


Ainsi, pour instaurer plus de transparence, les comités de rémunération seront saisis et se prononceront sur les rémunérations des opérateurs de marché, et une annexe aux comptes annuels détaillera les modalités d'attribution. En outre, les bonus garantis supérieurs à un an sont interdits, la moitié du versement sera étalée sur trois ans (et les deux tiers pour les plus élevés), et au moins un tiers de la partie différée devra être versée en titres, qui devront être conservés en moyenne au moins deux ans. Enfin, un mécanisme de malus a été créé : le versement de la partie différée est désormais lié sur la durée à la performance de la banque, de la banque de financement et d'investissement (BFI) et de la ligne métier. Si les activités sont déficitaires, le différé ne sera pas versé. « Même avec le malus, les bonus demeurent un système de rémunération fondamentalement asymétrique, relativise Olivier Godechot, sociologue et auteur de Working rich : salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière (La Découverte, 2007). Là où, dans l'ancien système, les opérateurs financiers pouvaient, en cas de perte, compromettre un an de bonus, ils risquent au plus dans le nouveau système d'en perdre deux. »


Contrôle de la Commission bancaire


Autres nouveautés, la nomination de Michel Camdessus pour contrôler les rémunérations des traders dans les banques aidées, et valider les 100 plus élevées dans chaque banque, tandis que la Commission bancaire veillera à la mise en pratique des normes dans l'ensemble des établissements. Elle « interviendra dans toutes les banques établies en France à partir du mois de septembre pour contrôler l'application de ces règles. Le résultat de ses investigations sera rendu intégralement public », a affirmé Nicolas Sarkozy, en soulignant que « les banques qui ne joueront pas le jeu seront sanctionnées ». Pour donner une force juridique à ces mesures, la Commission bancaire pourra faire jouer l'arrêté du 14 janvier 2009 modifiant le règlement 97.02 du Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF) sur le contrôle interne des banques. « Le dernier G20 avait déclaré que la politique de rémunération d'une banque ne doit pas lui faire courir de risque. Si elle en fait courir un, la Commission bancaire peut intervenir sur la base de ce texte, explique une source proche du superviseur. Mais la sanction n'est pas tout. Le pouvoir coercitif de la Commission est total car elle peut demander aux banques d'accroître leurs fonds propres si elle identifie un risque. Et cela est très coûteux pour les établissements. On leur impose donc une prudence qu'elles n'auraient peut-être pas choisi d'avoir. »


Néanmoins, les normes françaises inspirent aux experts des commentaires mitigés dans la mesure où leur champ d'application laisse des zones « grises ». « Pour être efficientes, les règles sur les bonus doivent fonctionner à la fois sur le plan géographique, mais aussi sur le plan des acteurs de la finance, estime Bruno de Saint-Florent, partner chez Oliver Wyman. Les fonds spéculatifs devraient être inclus dans cette nouvelle réglementation. » « Il faut que les comités de rémunération se penchent sur les méthodes de calcul des bonus et qu'ils puissent même éventuellement les réviser lorsque les montants sont jugés trop élevés », ajoute de son côté Jean de Castries, directeur général d'Equinox Consulting. Pour Sofiane Aboura, directeur du master banque d'investissement et de marché à l' Université Paris Dauphine, « la problématique reste de mieux mesurer le risque et notamment le risque extrême lié aux stratégies des opérateurs de marché ».


Préserver la compétitivité


Et ce qui fait encore moins de doute, c'est que ces principes devront être suivis par les autres places financières pour éviter des distorsions de concurrence. Distorsions qui, en attendant une harmonisation à l'échelle mondiale, porteraient donc surtout atteinte aux banques françaises. « Si nous sommes les seules à être vertueuses, il y aura en 2010 un réel danger en termes de compétitivité », grince le directeur des ressources humaines d'une BFI parisienne. Car si l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ainsi que la Commission européenne, ont bien accueilli les annonces de Nicolas Sarkozy, la teneur précise de leur engagement reste une inconnue. L'équation se complique d'autant plus que le chef de l'Etat français tient à mettre trois autres sujets sur la table du G20 : la limitation des bonus en pourcentage des revenus des BFI, leur plafonnement pour les plus élevés et la création d'une taxe sur ces primes qui financerait des systèmes de garanties des dépôts. La réunion des ministres des Finances du G20, qui se tiendra les 4 et 5 septembre, abordera le thème de ces rémunérations et pourrait lever le voile sur les pistes envisagées.


Mais aboutir à une position européenne commune, que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont appelée de leurs voeux lors de leur rencontre lundi 31 août, pour tenter de faire pression sur les Etats-Unis au sommet de Pittsburgh sera un exercice délicat. Alors que le régulateur allemand, la BaFin, a donné jusqu'à fin décembre aux banques pour prendre des mesures sur les bonus, de l'autre côté de la Manche, la Financial Services Authority (FSA) a pour sa part publié en mars dernier un guide de bonne conduite. Mais la situation à la City paraît compliquée. Le guide de la FSA, qui s'inscrit pourtant dans la lignée des recommandations prônées par le Forum de stabilité financière et l'Union européenne, n'a pas eu l'effet escompté. Et un retour en arrière s'est produit en août sur deux des dispositions du code : alors qu'elles avaient été érigées en principes dans la mouture initiale, les dispositions contraignant les établissements à verser deux tiers des bonus de leurs employés en différé et à lier la performance individuelle d'un salarié à celle de l'entreprise ont été reléguées au rang de simples recommandations. « L'approche graduelle de la FSA qui consiste à proposer des principes plutôt que des règles détaillées lui permet pourtant d'éviter de tomber dans des décisions arbitraires », estime Richard Frase, partner au cabinet d'avocats Dechert.


Londres prêt à changer la loi


Mais les politiques ne l'ont pas entendu de cette oreille : Alistair Darling, ministre britannique des Finances, s'est ainsi dit prêt à « modifier la loi et à resserrer les choses » si l'on devait renouer avec les mauvaises habitudes en matière de bonus. Et Gordon Brown, le Premier ministre britannique, a renchéri dans un entretien au Financial Times le 1er septembre en souhaitant que les rémunérations des banquiers soient définies en fonction des performances de long terme. Mais le dirigeant s'est déclaré peu « enthousiaste » sur une limitation des bonus.


Des sorties que d'aucuns ont davantage assimilées à une manoeuvre politique préélectorale qu'à une volonté authentique. « L'objet de la FSA est de promouvoir la stabilité du système financier britannique », observe Rob Moulton, partner chez Nabarro. Dans un contexte inédit d'immixtion très forte du politique, il va donc lui falloir trouver un équilibre entre la mise en place de règles permettant d'éviter les dérives du passé, sans pour autant mettre en péril le retour à la profitabilité des banques. Il ne faut pas oublier que d'ici à un an, la FSA devra se présenter devant le Treasury Select Committee pour faire part des changements introduits par les banques en matière de rémunération. » « L'application finale des principes de rémunération sera aussi très dépendante de l'impulsion donnée par la scène internationale », ajoute Karen Anderson, avocate chez Herbert Smith. « Et la coopération entre les différentes instances de réglementation n'est pas toujours aisée, rappelle Peter Snowdon, partner chez Norton Rose. Dans le cas de Lehman Brothers, même s'il s'agissait d'une banque internationale, les régulateurs ont très rapidement dû gérer des problématiques domestiques sans grande coopération entre eux. »


Dans l'intervalle, les 26 banques concernées par le rapport de la FSA doivent renvoyer avant fin octobre une déclaration détaillant leur politique de rémunération et un engagement à se soumettre aux huit principes édictés par le code d'ici au 1erjanvier 2010. Pour celles qui ne souhaiteraient pas s'y conformer, le régulateur a d'ores et déjà prévenu de sanctions, notamment l'obligation de renforcer leurs fonds propres. Si cela ne devait pas suffire, Lord Turner, président de la FSA, a déclaré fin août au journal Prospect qu'il était favorable à l'introduction de taxes sur le modèle de la taxe Tobin sur les transactions financières. Une petite phrase qui lui a valu de se mettre à dos l'ensemble de la City, les industriels et une partie du monde politique.


Statu quo américain


Beaucoup moins engagés que le Vieux Continent, les Etats-Unis (où les salaires des financiers sont traditionnellement supérieurs) sont eux aussi loin d'avoir résolu la question des bonus. Très ancrée dans la culture de Wall Street, ces primes y atteignent toujours des sommets, et les tentatives législatives pour alourdir la fiscalité des banques aidées restent pour le moment lettre morte. Goldman Sachs a ainsi provisionné 11 milliards de dollars pour ses bonus au titre du premier semestre 2009. On est loin des 500 millions d'euros de provisions semestrielles de BNP Paribas... Mais quand bien même l'issue du prochain G20 porterait sur des recommandations communes aux places financières mondiales, leur portée pourrait s'avérer limitée. « Dans le système juridique français, les discours entre chefs d'Etat dans le cadre de rencontres comme celle du G20 n'ont pas de valeur juridique, rappelle François Farmine, associé chez Clifford Chance. Pour leur donner cette valeur, il faudrait un traité international ratifié par chaque Etat au niveau national, ou que le gouvernement français agisse par la voie réglementaire ou législative avec d'autres gouvernements partenaires. » D'ailleurs, Nicolas Sarkozy a lui-même conditionné l'une de ses mesures à l'adoption de normes mondiales en déclarant que « l'Etat n'accordera plus de mandats aux banques qui n'appliqueront pas les règles internationales en matière de rémunération des traders ».


En attendant qu'émerge - ou pas - un cadre mondial pour les bonus, la chasse aux talents est repartie dans les banques anglo-saxonnes, comme en témoigne le trader d'un établissement français à Londres : « Les traders expérimentés sont très recherchés. Je sens que mes collègues s'interrogent car les annonces en France ont provoqué une certaine anxiété. Cela entame la motivation des équipes. » « On ne peut pas continuer à nous demander l'exceptionnel tout en nous imposant plus de contraintes. Surtout si d'autres établissements financiers en sont complètements exempts », souligne cet opérateur de marché.

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