olivier godechot

Mercredi 30 Avril | Le Monde

ROLLOT Catherine, 2008, « Recrutement des enseignants-chercheurs : la cooptation est mise en cause », Le Monde, 30 avril.
Recrutement des enseignants-chercheurs : la cooptation est mise en cause
LE MONDE | 30.04.08 | 12h43 o Mis à jour le 30.04.08 | 21h04

A l'université, on recrute entre soi. Souvent dénoncée, l'endogamie du monde académique n'avait jamais été quantifiée. Pour la première fois, deux sociologues, Olivier Godechot, chercheur au CNRS, et Alexandra Louvet, doctorante, ont calculé l'ampleur du phénomène qui amène les universités à privilégier systématiquement le recrutement de leurs anciens docteurs à des postes d'enseignants-chercheurs (maîtres de conférence et professeurs).

Ces travaux, consultables sur le site Internet La vie des idées, sont éloquents. Toutes universités et disciplines confondues, les candidats locaux ont dix-huit fois plus de chances que les candidats extérieurs d'obtenir un poste. Pour certaines disciplines ou universités, ce facteur peut atteindre 50 voire 500 ! Ce "localisme" ne poserait pas problème s'il ne battait en brèche les principes d'équité entre les candidatures. Il soulève à plus long terme la question de la qualité de l'enseignement et de la recherche universitaires.

Aucune discipline n'y échappe. Il n'est pas l'apanage des sciences humaines, dont la valeur des travaux est souvent jugée plus subjective. Si la philosophie semble la discipline la moins endogame, l'informatique, la chimie et les sciences de l'ingénieur privilégient la cooptation. "La dépendance de la recherche à l'égard d'équipements lourds et rares situés dans un petit nombre de laboratoires peut conduire à des phénomènes d'immobilité", analysent les auteurs de l'étude.

De même, les sciences de l'ingénieur ou de la chimie, propices au développement de partenariats locaux avec des industriels, favoriseraient une certaine sédentarité. L'étude permet aussi de dresser une typologie des universités. Les établissements parisiens sont ceux qui favorisent le moins les recrutements locaux. Les petites universités de province, de création récente, qui produisent moins de docteurs sont les plus enclines à avoir recours à cette pratique.

A partir de la base des 212 987 thèses soutenues en France entre 1972 et 2000, et après de multiples recherches croisées, qui leur ont permis de reconstituer les parcours de 13 000 docteurs devenus directeurs de thèse, les auteurs montrent que cette pratique courante a été en forte croissance jusqu'à la fin des années 1980. Jusqu'à présent, le phénomène s'appréhendait à l'aune des enquêtes publiées par le ministère de l'éducation nationale. A première vue, le recrutement local des enseignants-chercheurs n'apparaissait pas comme un problème. Entre 2002 et 2007, selon ces statistiques, 30 % des maîtres de conférence étaient recrutés par l'université qui leur avait délivré leurs diplômes de doctorat.

La réalité est plus complexe. " Les chiffres produits par le ministère permettent en réalité seulement de mesurer la part du recrutement local mais pas le localisme, c'est-à-dire de la préférence systématique pour les candidats locaux, explique Olivier Godechot. Ainsi, un candidat local avait 12 fois plus de chances d'obtenir un poste qu'un autre sur la période 1972-1976 ; c'était 24 fois plus entre 1987 et 1991", souligne le chercheur. Le plus grand nombre d'établissements produisant des docteurs et, par ricochet, l'augmentation des candidatures extérieures ont conduit les universités à favoriser encore plus les locaux.

A partir du milieu des années 1990, des associations de doctorants et d'enseignants-chercheurs ont dénoncé la cooptation. Des pratiques plus transparentes ont aussi été mises en place. Ces deux raisons ont, selon les auteurs, contribué à freiner l'expansion du localisme.

COMITÉS DE SÉLECTION

Malgré ses limites, l'évaluation a le mérite de susciter le débat sur un phénomène encore tabou dans l'université. "Le localisme n'est pas la seule forme d'autorecrutement, considère Olivier Godechot. Les réseaux d'anciens issus de la même école ou université, la proximité personnelle avec le jury, peuvent produire les mêmes travers." Pour le chercheur, des régulations permettraient de rendre plus juste le recrutement : l'interdiction faite à une université de recruter comme maître de conférence un candidat qui a obtenu le doctorat en son sein depuis moins de quatre ans, par exemple.

Les dispositions de la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU) sont moins radicales. Les anciennes commissions de spécialistes sont remplacées par des comités de sélection ouverts à des membres extérieurs de l'université. Reste à savoir si elles réussiront à limiter le localisme comme l'ont toujours défendu les partisans de la réforme ou à ne développer que d'autres formes de clientélisme.

Catherine Rollot
Article paru dans l'édition du 02.05.08.


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OgO (2008-05-06 22:32:54)

@Ullmo Merci pour votre commentaire. Très instructif. Je me doutais bien que les choses ont commencé à bouger en mathématiques depuis 5/6 ans mais pour l'instant je n'ai pas les données pour le mesurer. Le système de surveillance des concours que vous avez mis en place y contribue. Pour votre suggestion... je n'ai pas vraiment de données pour le mesurer complètement. Les indicateurs de publication sont partiels pour évaluer les compétences requises pour le poste de MCF, longs et coûteux à collecter et différents selon les disciplines (importance ou non des livres... etc.). Ce serait bien sûr instructif. Cela dit, je regarde tout simplement la relation entre localisme et succès à l'exportation... Et la relation est conforme à ce qu'on attend. Les départements les plus localistes sont ceux qui ont le plus de difficulté à l'exportation. Ou plus exactement, c'est peut-être parce qu'ils ne peuvent pas exporter leurs docteurs qu'ils deviennent localistes.... OGo


Emmanuel Ullmo  @  (2008-05-06 21:55:26)

Merci beaucoup pour votre article qui quantifie les problèmes de localisme dans les recrutements universitaires. Voici quelques réflexions d'un président de commission de spécialistes en mathématiques à Orsay pas forcément transposable à d'autres disciplines notamment expérimentale. Nous avons décidé depuis de nombreuses années de supprimer toute forme de localisme dans nos recrutements et j'ajoute que les grands départements comparables ont suivis une politique voisine. Nous ne considérons aucune candidature d'un thésard issue de notre université et nos maîtres de conférences ont totalement intégré le fait que nous ne considérerons pas leur candidature pour un poste de professeur au sein de notre département. Dans plusieurs cas récents nous estimions certains dossiers locaux de plus haut niveau que ce que nous avons recruté. Dans tous les cas limites nous avons considéré que le critère de localité même minimal interdisait de considéré la candidature (ex thèse soutenu dans une autre université sous la direction d'un professeur venant de muter dans notre université, thèse soutenu dans notre département sous la direction d'un membre quittant le département). Nous proposons la plupart du temps des profils aussi large que possible (en général "mathématiques pures et appliquées"). Ceci est possible en partie car la plupart des mathématiciens recrutés sont capables d'enseigner dans presque toutes les filières (ce qui est probablement pose plus de problèmes dans d'autres disciplines). Nous ne retenons donc comme critère de recrutement que ce qui nous semble être l'excellence scientifique essentiellement de manière indépendante des thèmes de recherches. Grâce à cette politique, une grande majorité de nos maîtres de conférences passent rapidement une habilitation et deviennent professeur dans une autre université. Nous avons donc régulièrement des postes de MCF en nombres (environ 5 chaque années) correspondant à ces départs. Nous recevons pour ces 5 postes environ 300 dossiers de candidatures et 80 pour les postes de professeurs. Il me semble que c'est un élément clef de la réussite du département (3 medaille fields dans les 15 dernières années, 2-ème département au monde en terme de publication après Princeton mais devant Harvard ou le MIT). Il me semble qu'un sujet d'étude crucial pour des sociologues serait d'étudier le lien entre taux de recrutement local et réussite des départements. Je ne sais absolument pas comment mettre en place les outils d'une étude de ce genre mais je serais très intéressé par une étude de ce genre de la qualité que celle que vous avez produit. Bien cordialement, Emmanuel Ullmo


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