olivier godechot

- 6 juin 2007 : Fleury Cynthia, "Que les gros salaires lèvent le doigt", L'humanité

La chronique de Cynthia Fleury
Que les gros salaires lèvent le doigt

Vous connaissiez l'hypercapitalisme... Bienvenue dans l'hypersalariat, royaume des parachutés dorés et des salariés rentiers. On pense aux grands patrons : à Noël Forgeard, avec ses 8,4 millions d'euros - versus les 5 milliards de pertes pour EADS en 2006 et le plan de 10 000 suppressions d'emplois d'ici à 2010. À Antoine Zacharias et à Jean-Marc Espalioux, les pri(m)és de partir, avec 13 millions d'euros pour le premier, et plus de 9 millions d'euros pour le second. Avant, encore, à Daniel Bernard, à Jean-Marie Messier et à Philippe Jaffré, ex-PDG d'Elf et détenteur du record de 19 millions d'euros. Il faut dire et redire ces chiffres jusqu'à la nausée, jusqu'à la révolte, pour que cela cesse définitivement. Ah, qu'ils sont méprisables ces sûrs-de-leurs-bons-droits. À choisir, je préfère les dictateurs africains. Le combat est plus clair.

« Mais, protesteront-ils, c'est le système qu'il faut incriminer ! » Seulement il a bon dos le système.

Car le système ce sont toujours des hommes. Pour mieux les connaître - vous verrez d'ailleurs à quel point tout cela est ordinaire -, et décrypter les mécanismes de l'industrie financière, lisons donc les travaux d'Olivier Godechot, chercheur au CNRS, auteur des Traders (Éditions La Découverte, 2001) et plus récemment de Working Rich - Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière (La Découverte, 2007).

Ces « grands patrons » ne sont d'ailleurs ni « grands » ni « patrons ». Ils sont, pour la plupart d'entre eux, employés dans les métiers de la finance, certains au « front office », d'autres au « middle », d'autres encore au « back », d'autres encore au « back-office avancé » car - progrès oblige - le suivi des transactions financières s'est complexifié au fil du temps. On dirait presque une usine ! Une usine qui fonctionne à plein régime, hystériquement. Une usine des riches, pour les riches, par les riches.

« La croyance dans la baisse tendancielle des inégalités est définitivement balayée », assène Olivier Godechot. « Depuis une vingtaine d'années, celles-ci sont de retour aux États-Unis. Par une étrange ironie, c'est au moment où le marxisme s'étiole que l'on peut enfin déterrer la thèse de la paupérisation absolue des travailleurs américains non qualifiés : le salaire minimum fédéral réel a baissé de 33 % entre 1968 et 2006 (...). En 1970, les salariés membres des 1 % les mieux payés percevaient 5,13 % de la masse salariale américaine. Trente ans plus tard, en 2000, ce même fractile avait porté sa part à 12,33 %. Dans le même temps, la part de ceux situés à peine plus bas dans l'échelle des salaires, la tranche qui fait partie des 10 % les mieux payés sans faire partie des 5 % les mieux payés (le F90-95), ne s'accroît quasiment pas. Elle passe de 10 % à 10,5 % de la masse salariale. L'accroissement des inégalités tient surtout à l'augmentation des salaires d'une toute petite élite tout en haut de la hiérarchie salariale. »

On se représentait Homo capitalus comme un rentier.

On le découvre salarié. « La catégorie des travailleurs riches, poursuit Olivier Godechot, est construite comme un miroir inversé de l'autre catégorie nouvelle des travailleurs pauvres. » Le phénomène est autant européen qu'américain. « Entre 1997 et 2001, les rémunérations versées (hors stock-options) aux comités exécutifs de 29 entreprises du CAC 40 ont augmenté de 46 % en euros constants, soit à un rythme de croissance de 10 % par an ». Le « déclin français » n'est pas le même pour tous.

Et la compétence, dans tout ça ? Ne mérite-t-elle pas de tels bonus ? Peut-être bien mais il est hélas avéré que l'absence de performance, voire la contre-performance, n'est jamais sanctionnée, qu'on considère que si les risques doivent être partagés par tous les salariés, le profit, lui, ne doit concerner qu'une petite entité, enfin que le bonus n'est en aucun cas la récompense de votre labeur mais le prix que l'on vous paye pour que vous ne partiez pas. Enfin, faut-il rappeler que le salaire n'est pas qu'un montant. « C'est aussi une opération de redistribution de richesses. » Les inégalités de rémunération ne sont donc plus seulement « le produit des inégalités naturelles de dons et de talents, le résultat de la stratification sociale, l'affaire d'héritages familiaux, économiques et culturels, inégaux et d'investissements scolaires différents. Elles doivent aussi au jeu inégalitaire de répartition, par des salariés, d'actifs entre les salariés ». Preuve qu'il existe deux catégories de salariés : ceux qui sont payés et ceux qui payent pour les autres.

de Cynthia Fleury

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