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Lundi 28 mai : «Les salaires de la finance n'ont pas grand-chose à voir avec les compétences», Chat Libération

«Les salaires de la finance n'ont pas grand-chose à voir avec les compétences»
Olivier Godechot, sociologue et chercheur au CNRS a répondu aux questions des libénautes.
LIBERATION.FR : lundi 28 mai 2007
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Duke: Vous qualifiez les pratiques de certains traders de hold-up. A partir de quoi et selon quels critères, jugez-vous qu'une rémunération est un hold-up?
Olivier Godechot: le terme de hold-up est un terme qui a une double origine. D'une part une origine académique. C'est un concept utilisé par les économistes pour décrire des situations où un acteur peut menacer un autre acteur de dévaluer les actifs possédés par ce dernier, en se retirant de l'échange commercial. Par exemple, une entreprise cliente d'un prestataire de service qui a beaucoup investi dans une relation commerciale. D'autre part, en travaillant avec des acteurs de la finance, quand ceux-ci me décrivaient des relations commerciales ils ont pu parler eux aussi de hold up. J'ai donc repris ce double sens.
Le hold up caractérise des situations où un professionnel de finance, comme un chef de salle, peut menacer l'entreprise de dommages, par exemple, la disparition d'une activité financière juteuse, si ses demandes en matière de rémunérations ne sont pas acceptées. C'est moins une question de montant, que d'équilibre de la négociation.
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* Interview o «La pratique de certains traders s'apparente au hold-up»


Julien: peut-on réellement parler de «hold-up», les traders n'agissent-ils pas en toute légalité? ou certains ont-ils des pratiques «mafieuses»?
Ce que je décris avec le concept de hold-up renvoie à un certain rapport de force dans l'échange. Il est similaire au hold-up des westerns de la manière suivante: dans le hold-up du western, le gangster menace le banquier de malheur: lui envoyer un pruneau dans le ventre, si jamais celui-ci ne lui passe pas la caisse! Ici, les professionnels de la finance menacent la banque d'une disparition d'une activité financière, c'est-à-dire un malheur pour la banque, si ses conditions ne sont pas acceptées.
Il y a une équivalence des rôles dans les deux situations, toutefois la deuxième situation est parfaitement légale.

Marie: mettre un peu de moralité sur les salaires touchés par traders, n'est-ce pas une pure utopie, sachant que ces marchés sont internationaux et difficilement contrôlables?
Oui, effectivement les marchés sont très internationaux, et je n'ai pas la prétention de moraliser ces marchés financiers.
L'actualité conduit à me donner un rôle d'expert à qui l'on pose la question «que faire» plutôt que «pourquoi». C'est plutôt à la seconde question que je souhaiterais répondre, il y a tellement de consultants, d'hommes politique, de dirigeants d'entreprises qui disent «que faire» sans réfléchir au «pourquoi».

Jérome: (...) pourquoi ne pas parler des risques (des traders, ndlr): en effet, je ne pense pas que 99% de la population francaise ne résisterait à la pression de la salle des marchés et de la finance. Vous pouvez être une star aujourd'hui et pas demain. Certes, les marches ont été très favorables depuis 4 ans mais il n'y a aucune garantie que demain ce soit la même chose. Enfin, pourquoi ne veut-on pas accepter en France que l'on soit passer à l'âge de l'information? Je peux donc travailler une heure par jour et si j'ai la bonne information faire un million de dollar. L'ère industrielle est finie et tant mieux.
Vous avez raison de vouloir gagner de l'argent. Cela n'empêche pas le fait qu'il soit intéressant, à la fois d'un point de vue intellectuel, civique et politique, d'essayer de comprendre pourquoi les rémunérations sont beaucoup plus élevées dans la finance que dans les autres secteurs. Il y a là un mystère qui défie la logique économique classique. Vous semblez mettre sur le compte du mérite, temps de travail, stress, compétence, l'origine de ces rémunérations. Ces pistes d'explications, si on les poussent jusqu'au bout, ne sont pas totalement satisfaisantes pour rendre compte des niveaux de rémunérations qui sont atteints dans la finance, et des différentes rémunérations au sein de la finance elle-même Vous savez bien, puisque vous semblez être en finance, dans les dérivés actions, les niveaux de bonus sont beaucoup plus épais que sur les produits de change. Ceci n'a pas grand chose à voir avec les conditions de travail, avec le stress, et assez peu à voir avec les compétences.

Hker: les actionnaires ne s'en plaignent pas pour autant: la création de valeur est partagée.
Ilovevol: les actionnaires sont tout de même peu regardants lorsqu'on leur annonce des profits et donc des dividendes surtout lorsque l'actionnariat est dilué et composé de petits porteurs.
Certains salariés, comme les salariés de la finance, ou plus encore les dirigeants d'entreprise, peuvent accumuler d'autant plus de pouvoir et des rémunérations d'autant plus élevées, que l'actionnariat est dilué. Les actionnaires sont souvent très peu au courant des rémunérations versées dans l'industrie financière, et on s'ingénie à les leur cacher. Lorsque dans une grande banque un bonus de 10 millions d'euros a été divulgué cela a suscité des questions au conseil d'administration de cette banque, ce qui a plongé la direction dans un certain embarras.

Bali: ces salaires exhorbitants, ont-ils mis en danger des entreprises?
Oui, et non. Dans le fonctionnement ordinaire les supers rémunérations, les bonus, ne sont versés que si les profits sont là. C'est-à-dire si des profits permettent de générer des enveloppes de bonus correspondantes. Toutefois, l'importance des bonus conduit l'entreprise financière à graviter en permanence autour de la question des rémunérations. Un des éléments qui explique la faillite de la Barings c'est que les supérieurs de Nick Leeson voulaient croire dans l'importance des profits générés par celui-ci, car cela aurait eu un impact très important sur leur propre bonus. On pourrait dire dans ce cas que «l'appât du gain» les a un peu «aveuglé». Deuxième élément: ces activités sont, du fait du bonus, assez peu pérennes. Une banque peut débaucher, d'une concurrente, une équipe qui sera rentable pendant quelques années, mais qui laissera derrière elle un champs de ruines quand elle partira vers d'autres destinées. Troisième élément: c'est au moment des retournements de conjoncture que le coût représenté par ces rémunérations est très élevé et peut mettre ces entreprises en difficulté.

Violette: n'est-ce pas au final, l'arroseur arrosé? Le salariat qui impose prend en otage l'entreprise, alors que le libéralisme nous avait habitué au contraire?
Vous avez raison. L'intérêt de ces relations salariales est de montrer les paradoxes du capitalisme contemporain. Le capitalisme libéral a répété comme un mantra l'idée de création de valeurs POUR les actionnaires, or en son coeur même, au sein de l'industrie financière, ce sont des salariés qui ont réussi à faire fonctionner cette logique de création de valeurs à leur profit.
Ainsi dans certaines activités financières, par exemple, les dérivés actions, l'enveloppe destinée au bonus correspond à 35% de la «valeurs créée». Une part bien plus importante que celle que va toucher, au final, l'actionnaire.

Dernier ouvrage paru d'Olivier Godechot: «Working Rich, Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière», Editions la Découverte.


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