olivier godechot

BOUSSARIE Élodie, 2006, « Compte rendu des ouvrages d'Éric Maurin L'égalité des possibles et Le ghetto français, Seuil, "La république des idées", 2002 et 2004 ».

Éric Maurin, L'égalité des possibles et Le ghetto français, Seuil, "La république des idées", 2002 et 2004 .

I-                   Aux origines des inégalités : les relations d'emploi et une société d'entre-soi

Dans son ouvrage « L'égalité des possibles[1] », Eric Maurin tente de saisir les transformations des relations d'emploi en France. Il utilise ici les résultats de l'Enquête Emploi menée par l'Insee entre 1982 et 2000. Les conclusions montrent qu'une nouvelle figure est en effet apparue ces dernières années, celle du « précaire », s'opposant à celle du « protégé » vis-à-vis de l'emploi. Et bien que les moins diplômés et les moins anciens dans les entreprises sont statistiquement les plus exposés au risque de la perte de l'emploi, il constate que cette précarisation touche tous les emplois, y compris les emplois qualifiés. Cette instabilité professionnelle est selon l'auteur en marche depuis une vingtaine d'années, liée à la mise en place de législations modifiant les structures d'emplois sur le marché. Il parle ainsi de l'avènement du Contrat à Durée Déterminé qui, contre toute attente apparaît comme une véritable passerelle entre les emplois précaires et les emplois fixes et durables.

La fragilisation générale des relations d'emploi semble de plus être renforcée par l'arrivée des nouvelles technologies qui constituent un substitut aux salariés anciens dans les entreprises. En effet, ceux-ci représentaient une sorte de mémoire vivante de l'organisation, maîtrisant enjeux et rouages informels désormais acquis par les NTIC. Eric Maurin insiste donc sur la nécessité de valoriser les dispositifs de formation continue qui constituent selon lui une véritable « deuxième chance » pour ces salariés en mal de reconversion après la perte d'un emploi.

 

Si l'on se concentre sur son ouvrage « Le ghetto français [2]», Eric Maurin cherche à expliciter en quoi le territoire est devenu depuis quelques années le révélateur de nouvelles inégalités. Il parle des « stratégies d'esquive » qui consistent pour chaque classe sociale à éviter « activement » la classe qui se trouve juste en-dessous dans l'échelle sociale. C'est ce qu'il nomme « l'entre-soi ». Ainsi, les clivages territoriaux se déterminent au niveau du choix du lieu d'habitation pour les familles. Plus particulièrement, les familles les plus aisées mettent tout en oeuvre pour quitter les quartiers populaires. Il y aurait donc une « ghettoïsation par le haut », selon l'auteur, qui ne cesse d'accentuer les inégalités sociales. On assiste donc à un séparatisme net qui crée des quartiers de pauvres, d'immigrés opposés et à l'écart de quartiers de bourgeois ou en cours d'embourgeoisement. Et se jouent désormais davantage des stratégies d'évitement dans le but de conserver un environnement sûr non pas relatif à la sécurité, aux équipements présents... mais qui prend en compte le « profil des personnes » vivant dans le quartier d'habitation. Les habitants participent en effet à l'intégration des jeunes générations et influent sur les conditions de réussite donc sur leur avenir. Il s'agit de considérer le poids statistique de certains paramètres comme notamment la tendance pour un enfant à réussir sa scolarité lorsqu'il vit dans un environnement social dont les agents sont eux-mêmes en réussite.

 

II-                Etat des lieux : les conditions salariales et les ségrégations spatiales et scolaires

L'ouvrage de 2002 témoigne de trois grandes tendances qui caractérisent les transformations des conditions salariales depuis une vingtaine d'années. Tout d'abord, l'auteur parle de l'effondrement de la classe ouvrière liée à la fin des grandes industries françaises. Ensuite, dans le même temps, il souligne l'émergence d'une nouvelle catégorie statistiquement importante : les employés. Mais il s'agit bien plus que d'une tendance : Eric Maurin conclue en explicitant la transformation de la catégorie des employés intrinsèquement. En effet, autrefois réservée à des activités administratives, les emplois se multiplient aujourd'hui dans le secteur tertiaire. Les employés, selon les données du Recensement de la population, sont en expansion très forte dans le domaine des services : en témoignent le développement des emplois d'aide à la personne, ou encore le « boom » des assistantes maternelles au cours des dernières années. Ces différentes transformations ont profondément creusé les inégalités entre les individus, rendant la mobilité sociale de plus en plus difficile et enfermant les populations dans des perceptions individualisées de leurs propres parcours d'échec ou de réussite. L'auteur pointe ainsi du doigt ce qu'il nomme les « inégalités de fait » et les « inégalités des possibles », montrant une fois de plus l'impact des conditions économiques de familles sur l'échec scolaire des enfants.

 

Il est ici intéressant de faire un parallèle avec l'ouvrage de 2004. En effet, dans « Le ghetto français », Eric Maurin tente de montrer en quoi les inégalités territoriales sont à mettre en relation avec les inégalités au sein du système scolaire. Utilisant les résultats de l'enquête Emploi de l'Insee de 1991 à 2002, il pose la question de la mixité sociale comme un vecteur incontournable de la réussite scolaire des enfants. S'appuyant également sur les conclusions d'un programme d'aide à la mobilité pour les familles populaires aux Etats-Unis, l'auteur conclut à l'efficacité de la démarche mais surtout révèle le poids de l'environnement social du quartier où vivent ces familles choisies. Ainsi, un enfant issu d'une famille « défavorisée » vivant dans un quartier peuplé d'individus de classe sociale supérieure augmentera indéniablement ses chances de réussite scolaire et sociale. Ici, Eric Maurin dépasse l'idée développée dans « L'égalité des possibles », à savoir le poids déterminant des conditions économiques des familles dans la réussite scolaire des enfants. Plus encore, l'environnement social et la morphologie sociale des habitants du quartier d'habitation semblent compter dans cette réussite. Les « effets de contexte » seraient donc aujourd'hui un facteur et un vecteur des inégalités scolaires et sociales.

 

III-             Après les échecs des politiques, des propositions à discuter...

Dans les deux ouvrages présentés ici, l'auteur critique fermement les différentes politiques sociales qui ont été mises en places dans le but de réduire les inégalités. Qu'il s'agisse des mesures visant à favoriser les familles les plus démunies en matière d'aide à l'emploi ou au logement[3], des législations sur les contrats de travail imposées qui ont transformé les relations d'emploi[4], les décisions politiques ne semblent pas avoir été efficaces, accentuant au contraire les inégalités, augmentant les stigmatisations d'une classe sociale à une autre, valorisant une société « d'entre-soi »...

En ce qui concerne ce dernier aspect, il est important de préciser la notion « d'entre-soi », trop simplifiée par l'auteur. En effet, dès les années 1950, les sociologues commencent à dénoncer la ville par la perte de la qualité de vie qu'on y trouve. De plus, l'Etat se désengage davantage pour laisser les collectivités territoriales encadrer les villes. Des luttes urbaines apparaissent alors, la ville se fragmente de plus en plus et les politiques de la ville sont décentralisées dès 1981. La question urbaine se mêle alors à la question sociale et de nouveaux phénomènes apparaissent dans ce que l'on nomme « la ville à trois vitesses[5] » :

-         l'entre-soi volontaire ou urbanisme affinitaire : on entend par-là le regroupement d'individus dans ces nouvelles résidences sécurisées et fermées où vit une partie de la classe moyenne. Selon Jacques Donzelot[6], on assiste presque à une « privatisation » des espaces communs et privés au titre de leur sécurisation (gated communities).

-         l'entre-soi contraint, sorte de relégation de la population dans les grands ensembles, « un confinement spatial durable des populations pauvres et/ou d'immigration récente, avec un certain rejet de cette population par le reste de la société »[7]..

-         l'entre-soi sélectif, phénomène de gentrification qui gagne le centre des villes. Dès les années 1960, on désigne là le processus qui conduit les classes moyennes à venir habiter auprès des classes populaires qui occupent alors le centre des villes, ceux-là même entendus comme des espaces dégradés, symboles d'une perte de valeurs morales. Jusqu'en 1980, la gentrification reste le fait d'une élite intellectuelle et artistique des classes aisées. Désormais, le phénomène est étendu et gagne de nombreuses grandes villes comme Londres ou Paris.

Bien-sûr, dans son ouvrage « Le ghetto français », Eric Maurin relativise les problèmes territoriaux qui selon lui sont une mauvaise lecture du séparatisme social. Il centre principalement ses propositions autour de l'idée de mixité sociale qui pourtant ne réduit pas les distances sociales[8]. Mais au-delà des aspects de qualité des conditions de vie, il s'agit pour l'auteur de s'attacher à revoir les principes de formation continue pour les adultes et scolaire pour les plus jeunes. Selon lui, la clé de réduction des inégalités des possibles se situe en amont du marché du travail, au sein même du système scolaire, qui doit trouver les moyens de diffuser une « culture commune par classe d'âge », moins sélective, mais surtout qui doit se charger de transformer les rapports des familles avec l'institution scolaire.

Élodie Boussarie


[1] MAURIN Eric, L'égalité des possibles. La nouvelle société française, coll. La République des Idées, Seuil, Paris, 2002.

[2] MAURIN Eric, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, coll. La République des Idées, Seuil, Paris, 2004.

[3] In « Le ghetto français », op.cit.

[4] In « L'égalité des possibles », op.cit.

[5] DONZELOT Jacques, « La ville à trois vitesses : relégation, périurbanisation, gentrification », Esprit, mars 2004.

[6] DONZELOT Jacques, op.cit.

[7] DONZELOT Jacques, op. cit.

[8] CHAMBOREDON Jean-Claude, LEMAIRE Madeleine, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue Française de Sociologie, n°11, 1970, pp. 3-33.



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