olivier godechot

15/1/2002 - Les Echos : Une communauté d'idées et de raisonnements

« Le sociologue Olivier Godechot rappelle que les marchés sont une organisation humaine obéissant à ses rites et ses codes propres. »
Les Echos, no. 18572
ENQUETE, mardi 15 janvier 2002, p. 63

L'essor des activités de trading (2)

« Une communauté d'idées et de raisonnements »
Le sociologue Olivier Godechot (1) rappelle que les marchés sont une organisation humaine obéissant à ses rites et ses codes propres.

AIT-KACIMI Nessim

A la lumière de votre dernière enquête (2), qu'apporte de neuf l'analyse sociologique à la compréhension des marchés et du comportement de certains de ses acteurs comme les traders ?

Un regard différent de celui de l'analyse économique traditionnelle, en privilégiant l'enquête de terrain, l'étude des comportements et des situations de travail. Elle rappelle que les marchés sont aussi une institution humaine, datée, divisée et hiérarchisée où certaines activités et certains métiers sont plus prestigieux que d'autres, pas seulement d'un strict point de vue financier. Au sein d'une salle des marchés, les individus ne sont pas isolés, ils interagissent. Le fonctionnement des marchés est ainsi influencé en partie par ces phénomènes d'interaction.

La population des traders est-elle hétérogène ou comporte-t-elle des traits communs dominants ?

C'est une population avant tout masculine, assez jeune, avec peu de traders dépassant l'âge de trente-cinq ans, souvent très diplômée (au moins niveau bac + 5). L'orientation élitiste des recrutements s'est accentuée malgré des exceptions, notamment dans les banques anglo-saxonnes. Elle permet de reclasser ces profils plus facilement en cas d'arrêt ou de ralentissement de l'activité de marché dans laquelle ils étaient spécialisés.

On retrouve chez les traders une certaine communauté d'idées et de raisonnements institutionnalisés. Avec des moments forts de la journée, comme les « morning meetings » (les réunions de présentation du matin), qui sont autant de rites communs à toutes les institutions financières. En simplifiant, trois grandes formes de raisonnement sont généralement utilisées par les traders : l'arbitrage mathématique, la prévision économique et l'analyse technique (analyse de graphes). En fonction de la culture, de l'histoire, du coeur de métier et des choix de chaque banque et de chaque trader, l'accent sera mis sur l'une ou l'autre de ces techniques.

Sans bagage universitaire et d'origine sociale assez modeste, les opérateurs issus de la criée peuvent, eux, privilégier des méthodes faisant appel à un savoir-faire hétéroclite appris sur le tas, à base d'analyse technique notamment. Celle-ci peut être envisagée comme une forme de contre-culture face aux modèles perfectionnés développés par les traders surdiplômés. Pour ces derniers, la vie sur les marchés est en quelque sorte un moyen de continuer d'évoluer dans l'atmosphère de leur grande école, avec la forte dose de mathématique qu'elle implique. Des compétitions symboliques qui prennent la forme de joutes verbales se déroulent en permanence dans la salle des marchés pour convaincre de la légitimité de la technique utilisée et pour savoir qui est le bon interprète des données économiques du jour.

Quelles formes prennent les relations de pouvoir au sein d'une salle des marchés ?

Plusieurs sortes de légitimité sont en compétition dans la salle des marchés pour se distinguer : il y a le trader qui veut montrer qu'il est à l'origine d'une certaine part des profits dégagés, mais aussi le responsable d'activité qui prêche pour sa propre équipe ! De même, un directeur de salle de marchés sans antécédents dans le trading n'aura pas la même légitimité en interne qu'un ancien trader.

Dans les produits dérivés, les responsables d'activité sont arrivés au bon moment, entre 1986 et 1988, au démarrage de ces nouvelles techniques. Petit à petit, ils ont vu leur importance grandir au sein de leur banque. Ils sont même devenus des sortes d'« entrepreneurs internes », avec une grande autonomie et des marges de manoeuvre appréciables. Ils ont ainsi un certain pouvoir, ce qui peut créer des conflits avec les autres départements et des tensions avec la direction générale.


Note(s) :

(1) Chercheur en sociologie économique au laboratoire de sciences sociales de l'Ecole normale supérieure. (2) « Les Traders », Editions La Découverte, 300 pages, 25,15 euros. A lire aussi : « Les Secrets des grands traders », de Jack D. Schwager, Valor Editions, 532 pages, 30,18 euros. Revue « Politix », n° 52, « Marchés financiers », Hermes Science Publications.

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