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28 juillet 2007 : « Le "trader" ou l'image du voleur moderne », Marianne.Marianne a choisi comme souvent un titre polémique pour présenter mon interview dans un numéro spécial sur "les parasites et les profiteurs"...La figure du Golden boy, du trader, s'est imposée quand on évoque l'argent facile. Leurs rémunérations, via les bonus, font rêver...
Plus encore que celles des PDG, dont le nombre restreint et la visibilité concentrent pourtant l'attention des média, la rémunération des traders fait fantasmer. Il y a un petit coté magique, une image virile, western, de l'homme qui gagne beaucoup en « se battant seul » contre un marché. L'envolée des activités de la finance et des rémunérations des « travailleurs » de ce secteur n'a pu que renforcer cette image d'épinal. Au début des années 80, ces « Working rich » voyaient dans un bonus d'un million de dollars le but à atteindre. Depuis la fin des années 90 c'est la dizaine de millions de dollars qui est devenue leur horizon fantasmatique. Ont-ils conscience de la déconnexion de ces niveaux de salaire ? Non, quand ils se comparent entre eux. Ils sont alors prêts à défendre le moindre centime. Oui, quand, autour d'une table, ils se comparent à leur proches, famille, amis, extérieurs à la finance. Comment ces salariés ont-ils réussit à imposer de telles conditions à leurs employeurs qui ne sont pas des enfants de choeur? La culture du bonus s'est généralisée dans les années 80 d'abord dans le monde anglo-saxon puis sur les autres places financières. Le bonus est la carotte qui essaye de retenir dans un établissement ces salariés hyper qualifiés, et souvent hyper volatils. Avant dans le monde de la finance dominé par les banques d'affaires, l'attachement des salariés était assuré par l'espoir d'une promotion interne. L'objectif, à dix ou quinze ans, de devenir associé dans un grand partnership, avec à la clef une belle rémunération, constituait un bon motif de fidélisation. La démutualisation des partnerships, la montée en puissance des activités financières, la multiplication des établissements financiers (grands et petits), l'explosion des volumes d'argent génèrent une très forte concurrence pour cette ressource cruciale : ces travailleurs qualifiés qui portent et emportent de l'activité financière. C'est cette possibilité, très inégalement distribuée, d'emporter avec soi l'activité financière, qui place les traders, les vendeurs et plus encore leurs chefs d'équipes, en situation favorable pour capturer une partie importante des profits. C'est ainsi que dans certaines activités, 40% des bénéfices d'une salle de marché sont redistribués entre les salariés sous formes de bonus. Mais pour gagner plus, il faut que le gâteau de la finance augmente lui aussi ? Oui. Les activités de marché sont extrêmement profitables, lucratives. Pourtant il n'y a aucune raison que cette activité gagne structurellement plus que les autres secteurs. Les surprofits et les sursalaires de ce secteur dessinent donc en creux l'inefficience des marchés financiers. On parle depuis une dizaine d'année de dictature des marchés financiers. L'idée qui tient la finance comme parasite de l'activité des producteurs n'est pourtant pas neuve. Elle a au moins deux siècles. Saint Simon évoquait ainsi les frelons, la finance, qui spoliait le travail des abeilles, unité retrouvée des salariés et des entrepreneurs des secteurs industriels. C'est au fond la vision d'Attac. Loin de moi l'idée de désigner la finance comme un secteur voleur qui exploiterait les autres secteurs et qui leur imposerait, une volatilité démesurée, qu'un hypothétique grain de sable (la taxe Tobin) suffirait à supprimer. La finance a un rôle d'intermédiation utile entre épargnants et investisseurs. En revanche on peut poser la question du coût de cette intermédiation. Coûte-t-elle trop cher ? Ma réponse est oui. Cette rente du secteur de la finance est-elle réalisée uniquement au détriment des autres secteurs de l'économie, donc des clients ? C'est là une particularité de la finance et de certains de ses salairés, traders et vendeurs... chefs de salle. En attachant à leur personne, tant les compétences, le savoir faire, ce que l'on appelle le capital humain, les clients, les équipes, ces working rich ont inversé à leur profit le processus de répartition de la valeur ajoutée au sein de l'entreprise. Toutes les autres composantes sont mises à contribution pour sponsoriser les bonus. C'est vrai des autres travailleurs comme des actionnaires. Il existe ainsi des mécanismes de comptabilité qui masquent le coût d'une salle de marché et au contraire augmentent la rentabilité apparente, et légitiment au final les rémunérations des traders et leur pouvoir. On assiste du coup à une moins bonne rémunération des autres salariés cantonnés dans les fonctions supports déconsidérées. Le pire, en tout cas pour les actionnaires des établissements financiers, est que les managements sont démunis face à un tel phénomène. Certes les traders leur font gagner beaucoup d'argent, mais ils pourraient en gagner beaucoup plus si les bonus ne venaient pas grever leur retour sur capital. Ces salariés des salles de marché « exploitent » certes en un sens aussi d'autres salariés, mais dans la mesure où ces travailleurs soumettent les capitalistes, ils peuvent aussi être vus, paradoxalement, comme l'avant garde du prolétariat... Quels sont les effets de l'émergence de cette nouvelle aristocratie salariale ? Ils sont très nombreux. Parmi eux on peut en citer deux, à mon sens très importants. Les working rich font pression pour faire baisser les impôts. Le rabot fiscal est le meilleur moyen pour redistribuer la rente capturée par les professionnels de la finance. Or on va dans le sens inverse. En France, un trader gagnant deux millions d'euros, en conserve aujourd'hui 54 % contre 40 % en 2002. Deuxième effet, l'accumulation rapide de richesse contribue à son tour à l'envolée des actifs, notamment immobiliers. À Paris et plus encore à Londres, le prix des appartements a explosé, en partie en raison de l'opulence des activités financières. Olivier Godechot interviewé par Emmanuel Lévy. |
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