Philippe @ (2008-02-05 22:44:38)
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Bonjour
Une très brève réaction au sujet de votre article du monde. Pour ne pas être répétitif, je passe sur un certain nombre de choses signalées par des posts précédants et sur lesquelles vous avez déjà réagi. Il me semble que le contexte et les personnalités en présence jouent un rôle très important sur les effets plus ou moins pervers du localisme et de tout système mandarinal. L'école mathématique française, par exemple, a été une des plus créatives au monde grâce à la surprotection qu'elle a longtemps accordé à ses chercheurs et au "despotisme éclairé" de ses mandarins : Laurent Lafforgue dit qu'il n'aurait pas pu poursuivre le travail de longue haleine qui lui a valu la médaille fields sans les conditions très favorables (exemptes de toute exigence de rentabilité) dans lesquelles il a rédigé sa thèse. Je sais que l'exemple est biaisé - le pédigré de Lafforgue avant ça (major d'à peu près tout les concours passés) plaidait en sa faveur. Mais la recherche est aussi parfois un travail long, qui prend péniblement forme met du temps à s'inscrire dans un canon communicable. La confiance, le soutient d'une ou de plusieurs personnalités peuvent être des moyens d'encourager une recherche active. Dans les faits, ça ne se passe pas toujours, et rarement, comme ça. J'ai juste l'impression que l'excès de codification fait ipso facto tomber une chappe de plomb sur les exigences, les parcours, et en fin de compte les profils retenus. Il vaut toujours lieux qu'il puisse y avoir des trous, pour le meilleur comme pour le pire ; c'est souvent là, et plus qu'ailleurs dans les sciences humaines, que les choses les plus neuves ont des chances de se glisser.
Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le reste. L'université française souffre de népotisme, de rigidité, d'une consanguinité excessive. Je m'amuse, lorsque je lis votre texte sur le marché du livre philosophique en France, vieux de plus de dix ans, à constater que ce sont toujours les mêmes personnes qui sont aux commandes (et souvent, qui tiennent bien plus fermement la barre encore). Mais je me méfie de solutions centralisées si on ne donne pas en même temps les moyens d'ouvrir les mailles de la toile qu'on tend.
Bien à vous
Olivier Godechot (2008-01-29 09:38:07)
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@ Bromius
Je ne suis pas forcément favorable aux concours tels qu'ils sont, mais si l'on veut éviter certains désavantages d'une compétition décentralisée et marchande, une procédure centralisée d'évaluation et de sélection peut être une piste intéressante. C'est encore plus vrai dans le cas français, où on a la décentralisation sans véritable compétition. En citant les concours prestigieux, je ne prends pas spécifiquement la défense de chacun. Je rappelle juste qu'avant de développer une politique de décentralisation à outrance, le centralisme peut avoir des bonnes raisons et produire des résultats généralement considérés comme de qualité.
Je suis pour ma part depuis longtemps favorable à la fusion de l'agrégation du secondaire et du CAPES pour plusieurs raisons :
1) qu'à un seul poste (enseignant du secondaire) corresponde un seul concours
2) que dans le secondaire on respecte le précepte "à travail égal, salaire égal" et non "plus on travaille, moins on gagne"
3) pour éviter de figer pour toute une carrière les coups d'accordéon conjoncturels du recrutement. Agrégation de philosophie de 1969, 100 postes, Capes de philosophie 300 postes. 10 ans plus tard, 10 postes ouverts dans chaque concours.... Un agrégé de 1969 est beaucoup moins rare qu'un certifié de 1979 et il a passé un concours beaucoup moins "difficile" et pourtant il aura une meilleure carrière.
4) pour obliger l'enseignement secondaire à penser véritablement une politique d'avancement plutôt que de faire passer à des enseignants l'agreg interne
5) pour éviter enfin que les universitaires se dédouanent du travail d'évaluation propre à ce niveau en se reposant pour leur recrutement sur les résultats à un concours qui n'est pas fait pour eux. (En particulier en philosophie, histoire et littérature).
Un moyen d'améliorer le travail d'évaluation au niveau du recrutement académique pourrait être de mettre au point des procédures spécifiques un peu plus mutualisées.
Après lesquelles... je ne sais pas.
Il est clair que les rumeurs de projets du gouvernement de suppression du CAPES et de conservation de l'agrégation vont complètement à l'encontre de ce que je propose... Pour les classes préparatoires... je ne sais pas trop quels sont les projets, les mettre dans les universités et réévaluer du coup les universités, pourquoi pas ? Mais encore faut-il qu'ils y arrivent... On ne casse pas comme ça aussi facilement le jouet de l'ensemble des élites.
Bromius @ (2008-01-29 08:52:56)
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J'arrive sur votre excellent site à cause de l'actualité que vous savez... Rassurez-vous, il n'en sera pas question.
Etant vous-même agrégé, on n'est pas étonné de vous voir prendre la défense des concours et des classes préparatoires. Je suis moi aussi soumis à des déterminismes sociaux (docteur EPHE qualifié par le CNU, dépourvu de concours et bredouille après deux campagnes MCF & CNRS) qui sont parfaitement cohérents avec la manière différente dont je vois les choses... J'espère seulement que la raison n'est pas complètement absente des lignes qui suivent, et qu'un terrain d'entente pourrait être trouvé entre nous...
Sachez d'abord que j'approuve sans réserve votre proposition d'exeat post-doc. On ne comprend d'ailleurs pas pourquoi cette mesure n'est pas parvenue à s'imposer, alors qu'elle est réclamée par beaucoup depuis longtemps.
J'ai beaucoup plus de mal avec votre éloge assez laconique (voire simpliste, mais le format de votre tribune ne vous permettait pas de développer) de la sélection à la française.
Les concours d'histoire-géographie, que je connais d'assez près, offrent mille formes d'arbitraire (tête bien pleine > tête bien faite, codes comportementaux et culturels, humeur du jury, tirage aléatoire des sujets, etc) qui n'en font certainement pas un mode de sélection indépassable.
Au CNU (je connais surtout les moeurs de la section 21), certains dossiers, à en juger par les rapports produits (j'en ai lu plusieurs), sont traités par-dessus la jambe.
Cet arbitraire ne choquerait pas si les enjeux socio-professionnels n'étaient pas ceux que l'on sait (perspectives très moroses, en SHS en particulier).
Le clientélisme que la loi LRU vous fait craindre existe déjà, me semble-t-il. La fin du localisme ne suffirait pas à le supprimer. Vous connaissez comme moi des candidats extérieurs qui ont été désignés d'avance par des commissions sous influence. Avec renvois d'ascenseur.
Que pensez-vous des rumeurs faisant état d'une mort programmée des concours et des classes préparatoires? Pour ma part, je ne serais pas opposé à une intégration des filières d'élite dans une université qui aurait fait peau neuve (avec des moyens, naturellement !).
La question des concours reste à débattre (par quoi les remplacer ?). Il ne faut pas seulement reconnaître leurs vertus, mais aussi leurs vices. Chez les universitaires, ils consomment, au delà du raisonnable, beaucoup d'énergie (heures de préparations, corrections, publications de manuels, colloques "opportunistes") et génèrent des carrières qui ne sont parfois qu'un cursus honorum consacré à la seule gestion des ressources humaines du ministère (formation, évaluation, sélection, recrutement). La surface scientifique d'un grand nombre d'universitaires français en pâtit. Cette dépense d'énergie est aussi celle, ne l'oublions pas, des candidats, qui perdent parfois deux ou trois ans sans parvenir à leur fin (85% d'échec au CAPES d'histoire-géographie). Or ces années ne sont pas qualifiantes, en dépit du travail acharné qui est souvent fourni.
Les recrutements à l'université et la répartition des dotations se font également en fonction des concours. En histoire, cela a conduit à installer un cloisonnement entre des périodes découpées de manière pas toujours heureuse (antique, médiévale, moderne, contemporaine). Beaucoup de talents travaillant sur plusieurs périodes, ou sur des aires géographiques non-traditionnelles, ne sont tout simplement plus recrutés aujourd'hui. On assiste à un retour des profils académiques, formatés dès les années de préparation aux concours, qui préparent des thèses opportunistes ressemblant à de futures questions de programme.
Beaucoup de qualifiés au CNU pour peu de postes, dites-vous. Effectivement. Avec pour corollaire cette lamentable pratique du pré-classement par "piles" (d'un côté, ceux qui ont l'agrégation, de l'autre ceux, ceux qui ne l'ont pas). Enfin, ces nouveaux dossiers de candidature, dépourvus de publications, semblent affirmer sans honte: nous ne jugeons plus un candidat sur son travail scientifique, mais sur ses titres et ses réseaux.
Oui, le système de sélection à la française souffre d'un complexe de supériorité qui lui donne une fausse image de ce qu'il est en réalité ! La sociologie pourrait oeuvrer avec profit dans ce domaine, et éclairer les lanternes...
Bromius