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Lechevallier, Anne-Sophie. 2021. "Dans l’effervescence des temples de la finance", Paris Match, n°3379

Dans l’effervescence des temples de la finance
Paris Match | Publié le 15/10/2021 à 12h00|Mis à jour le 15/10/2021 à 12h41
Anne-Sophie Lechevallier
 
C’est un monde disparu, où les cours se décident à la criée. De l’époque des parquets à celle de l’informatisation, de Wall Street à Tokyo en passant par Calcutta, nos reporters ont photographié des places financières si vibrantes et si différentes. Retour sur ces années où les Bourses se sont transformées à grande vitesse, quand la libéralisation et Hollywood exaltaient le mythe du golden boy. Un âge d’or qui préfigure les dérives à venir.

Cet effet de bord, ni Stanley Weiser ni Oliver Stone ne l’ont anticipé. Avec « Wall Street », sorti fin 1987, le scénariste et le réalisateur veulent dénoncer les dérives du monde de la finance. Au lieu de cela, leur personnage de Gordon Gekko, courtier new-yorkais avide et amoral interprété par Michael Douglas, va susciter nombre de vocations. Un malentendu magistral, sur lequel revient le scénariste, vingt ans plus tard, dans une tribune du « Los Angeles Times ». Il l’intitule « Répète après moi : la cupidité n’est pas une bonne chose», référence à la célèbre réplique de Gekko, « la cupidité est une bonne chose » : «Ce que je trouve étrange et curieusement dérangeant, c’est que Gordon Gekko a été mythifié et élevé du rôle de scélérat à celui de héros. » « Wall Street » apportera, en effet, sa pierre au mythe des golden boys dopés à l’adrénaline, à l’enrichissement éclair et aux vies flamboyantes.

Cette même année 1987, celle de tous les excès, notre photojournaliste Benoit Gysembergh sillonne les places boursières mondiales. Au printemps, une quinzaine de courtiers new-yorkais se font passer les menottes, devant les caméras. La police veut que cesse le trafic qui pros- père à « Wall Street sur drogue », comme le titre alors Paris Match. Son correspondant Olivier Royant écrit: «Trois [des brokers les plus en vue] gagnaient plus d’un million de dollars par an et avaient acheté pendant l’an- née pour 100000 dollars de cocaïne. Tous trois avaient succombé au “stress de Wall Street”. » Ce stress atteint son paroxysme le 19 octobre. Brokers et traders ne parviennent plus à maîtriser leurs émotions. L’Amérique connaît son «lundi noir». Même si le pays ne sombre pas dans la Grande Dépression, les travers des golden boys sont pointés du doigt, comme les nouveaux systèmes de trading automatiques.

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Avec la crise de 2008, le mythe du trader s’effondre

À Paris, une révolution, plus feutrée, suit son cours au palais Brongniart. La cotation s’informatise dès 1986. Deux ans plus tard, la Compagnie des agents de change disparaît. Les professionnels de l’investissement prennent le pas sur les boursicoteurs individuels. Olivier Godechot, sociologue à Sciences po et auteur des «Traders» (éd. La Découverte), raconte ce passage d’un monde à un autre: «Depuis Napoléon, les banques avaient été maintenues à l’extérieur de la Bourse par les agents de change, n’intervenant que sur le marché des changes. D’une cotation fixe par titre pendant les deux heures d’ouverture quotidiennes, la Bourse passe à une cotation en continu. Le quartier du palais Brongniart se vide au profit de la Défense. Les dernières criées ferment en 1998.»

De retentissantes affaires de fraude viennent effriter le mythe du trader. Nick Leeson entraîne, en 1995, la faillite de la Barings, la banque où la reine d’Angleterre détenait un compte. « Comme dans l’affaire de la Société générale, il s’agit de personnages en situation d’ascension sociale forte, qui cherchent à maquiller leurs erreurs. À en croire leurs récits, ils entrent dans un engrenage dont ils n’arri- vent pas à se sortir», note Olivier Godechot. La crise de 2008 vient achever la chute des golden boys. La financiarisation de l’économie a montré ses limites. Les politiques dénoncent les modes de rémunération insensés, «ce système où celui qui est responsable d’un désastre peut partir avec un parachute doré», selon les mots de Nicolas Sarkozy. On rédige des réglementations pour limiter la spéculation. «Les traders regrettent ces changements, ils disent ne plus s’amuser et crouler sous une paperasse nécessaire pour justifier leurs transactions», constate le sociologue. Les rémunérations, en revanche, retrouvent rapidement des niveaux très élevés, en particulier aux États-Unis. À la sortie des grandes écoles, la finance aurait perdu de son attrait. Gordon Gekko ne fait plus vraiment rêver.



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