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9 Juin 2016 | PIERRE BIENVAULT, "Les Français inégaux devant la greffe du rein ?", La Croix

Les Français inégaux devant la greffe du rein ?
PIERRE BIENVAULT, le 09/06/2016 à 8h51

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Selon deux enquêtes, les patients diplômés auraient davantage accès au meilleur traitement possible, la greffe

Les patients faiblement diplômés sont-ils moins bien soignés que les autres en France ? Et les médecins choisissent-ils parfois de réserver un traitement rare aux patients les plus instruits et favorisés socialement ? Ces questions dérangeantes sont au cœur d’un article passionnant sur les « inégalités sociales en néphrologie » publié mercredi 8 juin dans la revue Population, de l’Institut national d’études démographiques (Ined).

Cet article met en évidence le fait que les patients ayant une maladie rénale à un stade avancé ont plus souvent que les autres accès au meilleur des traitements possibles, c’est-à-dire la greffe. « Et cela est certainement lié, en partie, au fait qu’ils sont mieux informés et capables de choisir la stratégie thérapeutique la plus performante », indique un des coauteurs de cet article, Christian Baudelot, sociologue à l’Ecole normale supérieure (ENS).
Deux solutions, la dialyse ou la greffe

De deux à trois millions de personnes en France sont concernées par une maladie du rein. Parmi elles, 76 000 sont traitées pour une insuffisance rénale terminale (IRT). À ce stade, il existe deux solutions : un traitement par dialyse ou une greffe du rein. C’est cette dernière option qui est le traitement le plus efficient et le plus économique. Les personnes transplantées peuvent souvent retrouver une vie normale, même si elles doivent prendre à vie un traitement immunosuppresseur pour éviter le rejet de la greffe. Les patients dialysés, eux, doivent s’astreindre plusieurs fois par semaine à un traitement lourd et contraignant. Ce qui ne leur permet pas toujours de continuer à travailler, surtout quand ils exercent un métier pénible physiquement. Aujourd’hui, parmi les patients en insuffisance terminale, 55 % sont en dialyse et 45 % transplantés.

À lire : le « cri de détresse » des malades du rein
Plus de 10 000 patients interrogés

À l’évidence, certaines inégalités sociales de santé jouent un rôle dans l’accès à l’un ou l’autre de ces traitements. C’est ce que montrent deux enquêtes. La première a été menée à l’occasion des États généraux du rein de 2012, avec des questionnaires remplis par plus de 8 500 patients. La seconde a été conduite en 2011 par le CHU de Nancy, en lien avec l’Agence de la biomédecine, auprès de 3 000 patients en insuffisance terminale. Elles parviennent au même constat : les patients les moins diplômés et favorisés socialement sont plus souvent soignés en dialyse, tandis que les catégories les plus instruites bénéficient davantage de la greffe.
Des maladies différentes selon les classes sociales

La première inégalité survient au départ. Les membres de classes populaires sont plus touchés par les maladies vasculaires, le diabète et l’obésité, qui finissent par avoir un effet sur leur fonction rénale. De leur côté, les patients les plus diplômés sont en général atteints de maladies rénales spécifiques, notamment d’origine génétique. Les premières pathologies peuvent présenter plus de contre-indications à la greffe. Ainsi, « un malade souffrant d’une insuffisance rénale terminale due à une maladie génétique a, toutes choses égales par ailleurs, plus de quatre fois plus de chances d’être greffé qu’un patient diabétique ou atteint d’une maladie vasculaire », indique l’article
Un algorithme pour désigner les patients à greffer

Avant de pouvoir bénéficier d’une greffe, les patients doivent être inscrits sur une liste d’attente. « Une fois que cela est fait, les inégalités sociales n’ont plus d’effet », souligne Yvanie Caillé, directrice de l’association Renaloo. Tous les patients, diplômés ou pas, sont alors logés à la même enseigne. Quand un rein est disponible, le patient greffé est désigné par un algorithme national qui prend en compte certains critères médicaux, ainsi que l’ancienneté de la maladie. Mais la situation est un peu différente en amont, au moment de l’inscription sur la liste d’attente. À ce stade, c’est le néphrologue qui prend la décision d’inscrire ou pas tel patient sur la liste. Et cette décision s’effectue « en pleine connaissance de toutes les dimensions d’une personne, médicale bien sûr, mais aussi individuelle et comportementale », souligne l’article.

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Des patients diplômés plus facilement inscrits sur la liste d’attente

Et ses auteurs soulèvent une hypothèse qui interpelle : selon eux, il est possible que les néphrologues inscrivent plus facilement sur la liste les patients les plus diplômés, ceux dont l’état de santé plus favorable et la bonne connaissance des enjeux de la greffe vont assurer la meilleure réussite de la transplantation. Avec l’idée qu’un rein à greffer étant une denrée rare, il vaut mieux le réserver à de « bons » patients, ceux qui sauront faire fructifier ce « cadeau » que leur font la médecine et la collectivité. « Dans une logique médicale, ils peuvent se dire qu’il vaut mieux inscrire sur la liste des patients qui vont bien prendre leurs médicaments immunosuppresseurs ou qui feront des examens médicaux réguliers », indique Christian Baudelot.
Un débat éthique à ouvrir

Ce sociologue insiste sur le fait qu’il s’agit là d’une hypothèse qui n’est pour l’instant pas confirmée par les enquêtes disponibles. « Mais des études menées dans d’autres pays confirment qu’il s’agit là d’une hypothèse plausible ou à creuser. Le problème est qu’en France, les néphrologues refusent tout débat sur le sujet. Ce débat existe pourtant en hépatologie. Les greffons de foie sont tout aussi rares et, par exemple, certains hépatologues estiment qu’il ne faut pas greffer les patients qui ont recommencé à boire », souligne Christian Baudelot, en constatant que ce débat éthique mérite d’être ouvert. « La question est notamment de savoir si on fait une morale de l’équité ou une morale de l’égalité totale », dit-il.
PIERRE BIENVAULT



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